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Les villes à travers les documents anciens

Bourges au fil du temps
Ce qu'il advint à Bourges de ses débuts jusqu'au 19ème siècle

Bourges en 1566, par Jean Arnouillet, © Gallica / BNF  - gravure restaurée numériquement par © Norbert Pousseur
Bourges en 1566, par Jean Arnoullet,

Pourtraict de la ville de Bourges - La ville de Bourges, des Gaules la cité première'
Bourges ancienne province et cité dominant Laquitaine,
portant sous lempire le play d'une tour et deux moutons,
sous un croisant croisé par-dessus

Gravure numérisée et conservée à la BNF
Pour en voir les détails sur sa version légendée

Bourges en 1566, original de la © Gallica / BNF  - gravure restaurée numériquement par © Norbert Pousseur
L'original tel qu'on le trouve sur le site de la BNF
La césure centrale a été supprimée sur cette version, ci-dessus, 'restaurée'

 

Voir Bourges au 19ème siècle, texte et gravures

Histoire détaillée et anecdotique de Bourges texte de M. Pierquin de Gembloux, extrait de Histoire des villes de France d'Aristide Guilbert - 1859, Collection personnelle

Bourges, au moment de l'invasion romaine, était une des cités les plus florissantes des Gaules. Construite sur le plateau, puis sur le flanc du large monticule recouvert aujourd'hui par la ville moderne, et entourée de marais et d’eau, elle devait son nom d’Avaric aux accidents du terrain sur lequel elle était bâtie. Il y avait, comme on sait, dans les Gaules, deux nations du nom de Bituriges : les uns nommés Vivisci, en commémoration du culte qu’ils rendaient au gui, et les autres Cubi, à cause de la forme de leurs habitations. A cette époque reculée, les Bituriges-Cubi, dont Avarie était la métropole, frappaient déjà monnaie. Nous possédons un grand nombre de leurs pièces monétaires : les unes portent le nom d’Avarie, soit en entier, soit en abrégé ; d’autres offrent, sans légendes, les emblèmes de la nation, tantôt isolés, tantôt unis à ceux des peuples avec lesquels ils étaient confédérés. Compris dans les conquêtes de César, les Bituriges cessèrent de battre monnaie et ne reprirent ce droit qu’après la chute de l’empire romain.

La première lueur historique jetée sur Avarie, est celle des Commentaires dé César. Ils nous apprennent qu’en un seul jour les Bituriges-Cubi sacrifièrent plus de vingt de leurs villes, dans l'espoir de sauver l’indépendance de toutes les nations gauloises, et qu’au moment où, en plein conseil, on allait décider si l’on brûlerait aussi Avarie, les Bituriges se jetèrent aux pieds de Vercingétorix, en lui criant : « Ne nous forcez point à incendier de nos propres mains cette ville, la plus belle presque de toutes les Gaules, ornement et rempart de notre cité. La rivière et les marais l’entourent et la protègent ; une seule issue très étroite y donne accès ; douteriez-vous, qu’ainsi favorisée, nous ne pussions la défendre ? » Vercingétorix se laissa malheureusement attendrir, et, après avoir fait entrer dix mille hommes de renfort dans la place, il alla camper auprès de Solimara (Maubranches), à seize milles environ d’Avarie. Protégée par ses retranchements naturels, l’Auron, l’Yèvre, le Mouton, l’Yevrette et les marais, la capitale des Bituriges n’était accessible que par le point, ou se trouve aujourd’hui la porte Bourbonnous. César plaça donc son camp sur l'étroit terrain bordait la rivière et les marais. En vingt-cinq jours, il leva une terrasse de trois cent vingt toises (+-300m) de base sur quatre-vingts de hauteur (+-80m), laquelle dominait les murailles de la ville, si bien décrites par le général romain. Les légions demandèrent enfin le signal de l’attaque ; mais, dit Napoléon, la ville était trop bien fortifiée par la nature et par l’art. Le siège pourtant est commencé, et les Gaulois font des prodiges de valeur. Partout ils opposèrent aux assiégeants les ressources multipliées d’un esprit ingénieux et habile à tout imiter, à tout prévoir. Ils détournèrent les faux à l’aide de nœuds coulants et les attirèrent à eux avec des machines faites exprès ; ils détruisirent les terrassements par des travaux souterrains, mettant le feu aux ouvrages, remplissant les mines ouvertes avec des pierres durcies au feu et de la poix liquide.

César, selon son habitude, assistait aux travaux, même pendant la nuit, malgré les rigueurs de la saison et les pluies continuelles : vers la troisième veille, il vit de la fumée s'élever de la terrasse. Les Gaulois venaient d'y mettre le feu et elle sautait. Aussitôt des cris effrayants partent de leurs murailles, et tandis que les uns opèrent une double sortie, d'autres, restés sur les remparts, lancent aux assiégeants des torches embrasées, de la poix bouillante, du bois et toutes sortes de matières combustibles. Surpris un moment, les assiégeants reprennent enfin l'offensive, repoussent les Gaulois, retirent leurs tours, coupent la terrasse, et, durant toute la nuit, soutiennent un combat acharné. Un Gaulois chargé d’alimenter le feu qui consumait une tour romaine, y jetait continuellement des masses de suif et de poix qu'on lui faisait passer de main en main. Frappé d'un trait au sein droit, il est aussitôt remplacé par un soldat non moins courageux, qui, atteint lui-même, cède sa place à un troisième ; et ainsi de suite jusqu'à ce que l'ennemi se soit emparé du poste qu'ils occupaient.

Les Gaulois découragés, cédant d'ailleurs aux ordres de Vercingétorix, abandonnèrent la ville, au milieu de la nuit, et dans le plus grand silence. Déjà ils s'acheminaient vers les portes, lorsque tout à coup les femmes échevelées, éperdues, tenant leurs enfants entre leurs bras, se précipitent aux pieds des soldats, les conjurant de ne pas les abandonner aux outrages du vainqueur. Ces cris sont entendus des Romains, et l'évacuation de la place devient impossible. Favorisé par une pluie battante qui forçait les assiégés à se mettre à l'abri, César fait approcher une tour mobile, réunit secrètement les légions derrière les palissades et donne le signal de l'assaut. Les Bituriges surpris, chassés de leurs murailles et de leurs tours, se rangent en forme de coin sur la place publique et se pré- parent à combattre avec acharnement. Mais le général romain fait aussitôt investir toute la circonférence des remparts. A l'instant les Gaulois jetant bas leurs armes, s'enfuient du côté des marais : là, au fur et à mesure qu'ils tentent de passer la porte, ils sont, ou massacrés par les fantassins, ou poursuivis par la cavalerie. Alors commença une horrible boucherie : le délire du carnage fut tel que pas un soldat romain ne songea au pillage tant qu'un Gaulois respira dans la vile. Des quarante mille personnes bloquées dans cette vaste cité, il resta tout au plus huit cents hommes ou femmes qui allèrent porter à Vercingétorix la nouvelle de cet affreux désastre. Le pillage eut aussi son tour : on pourra s'en faire une idée en se rappelant que le butin qu'y firent les Romains passa parmi eux en proverbe. César demeura quelques jours dans la ville démantelée, où il trouva des magasins de blé et de vivres : c'est là que son armée se ravitailla et se reposa des fatigues du siège. Il y reçut une députation éduenne qui venait le prier de mettre un terme aux discussions occasionnées dans leur cité par l’élection d’un vergobret.

Les Romains avaient, à ce qu'il paraît, versé tout le sang généreux des habitants d'Avarie, car la dégradation de ce peuple ne se borna point à participer, sous Auguste, à l'érection d'un autel que soixante nations de la Gaule consacrèrent au divin empereur, au confluent du Rhône et de la Saône. Plus tard, vers le milieu du IIIe siècle, nous voyons un certain Gagileius Primus, sexvir augustal, élever à ses frais un autel votif à perpétuité pour la santé des Césars, celle de Minerva et de la divine Drusille. C'est grâce à de semblables turpitudes qu'Avarie redevint une ville considérable ; elle eut un vaste amphithéâtre, de beaux et larges aqueducs, par le canal desquels arrivaient dans la ville les eaux limpides et pures, que les Romains avaient détournées pendant le siège. De l'amphithéâtre complètement détruit en 1619, il ne reste plus que le nom donné à l'une des rues de Bourges ; les aqueducs, abandonnés, sont probablement enfouis dans les terres.

 

Dès le 11e siècle de l'ère chrétienne, Avarie prit le nom de sa population et fut nommé Biturrica ; mais, malgré ses flatteries nombreuses, elle n'eut point l'honneur de figurer parmi les villes autonomes des Gaules, qui seules obtinrent le privilège de battre monnaie à l'effigie des empereurs romains. Il paraît cependant, d'après une découverte archéologique faite le 22 juin 1842, qu'elle fut alors le centre d'un faux monnayage extraordinairement actif. Les Bituriges, à cette époque, étaient célèbres par leur industrie variée ; ils tissaient les voiles de navire, exploitaient les mines de plomb, de minium, d'étain, etc. ; la métallurgie avait, en outre, pris un essor remarquable parmi eux : des branbaricarii damasquinaient déjà les armes et la vaisselle, en y introduisant des filets d'or ou d'argent. Ce ne fut toutefois qu'au IVe siècle que Biturrica vit relever ses remparts, dont une partie existe encore. En 408, l'énergie gauloise, violemment comprimée, réagit dans cette ville, capitale de la première Aquitaine ; elle se déclara indépendante de l'empire. Si l'on en croit Zozime, les habitants chassèrent les officiers romains et se constituèrent en république. En 412, Bourges fut pillée successivement par les Goths et les Huns. La présence des conquérants germains favorisant leurs projets, les bagaudes se montrèrent de nouveau, en 435 ; Bourges menacé alors, tantôt par les Romains, tantôt par les Wisigoths, envoya alternativement aux uns et aux autres des députations composées de ses plus illustres citoyens. Simplicius, qui plus tard fut évêque de cette ville, et qui appartenait à l'une de ses plus nobles familles, fut ainsi tour à tour député vers l'un et l'autre des dominateurs.

Dans le courant de l'année 469, tandis que le sénat romain et l’empereur Anthémius condamnaient à mort Serenat et Amande, ces intrépides chefs des nouvelles bagaudes, le roi wisigoth Euric s’apprêtait à les venger et a imiter leur exemple. Il commença la guerre par une campagne contre les Bretons fédérés, chargés alors de la défense du pays des Bituriges. Il marcha sur Bourges avec des forces considérables, et s’en empara, non sans quelque résistance de la part des habitants et du clergé, tant les uns et les autres avaient horreur de maîtres ariens ! Sous la domination franque, Bourges devint l’une des vingt-quatre métropoles de la Gaule ; à la mort de Chlodwig, elle fut comprise, ainsi que son territoire, dans le royaume d’Orléans, qui échut en partage à Chlodomir, jusqu’à l’époque où ce royaume fut lui-même fondu dans les États de Chlotaire II. Les habitants du Poitou, de la Touraine et de l’Anjou s’emparèrent de Bourges, en 584, et la détruisirent presque entièrement. L’année suivante apparaît déjà un comte de Bourges, nommé Ollon, dont Grégoire de Tours nous a transmis le souvenir. Mêlé dans l’intérêt du roi Gontran, son maître, aux singulières aventures du prétendant Gondebaud, ce fut lui qui le reçut au sortir de la ville de Comminges, ou plutôt qui l’assassinat. Bourges, sous la race mérovingienne, recouvra le droit de battre monnaie. Pépin le Bref, en 762, après un siège qui traîna en longueur, prit cette ville, et rendit à la liberté les soldats aquitains et saxons que le duc Waïfre y avait réunis pour garder la place. Quant au comte de Bourges, Humbert, et à ses hommes faits prisonniers, Pépin se contenta d’exiger d’eux le serment de soumission et les emmena avec lui ; il avait fait conduire leurs femmes et leurs enfants dans ses possessions au-delà de la Loire. Ensuite, il releva les remparts de la ville, et y plaça un comte et une garnison pour la défendre. Cinq ans après, le roi franc fit de Bourges son quartier général et sa résidence ; il y vint avec Bertrade et y bâtit un palais. Dans un champ de mai convoqué, au mois d’avril, dans une vaste plaine, sous les murs de la ville, il fut décidé que Bertrade resterait à Bourges avec une partie des fidèles et des soldats de Pépin, tandis que son mari, avec le reste de l’armée, poursuivrait le duc Waïfre. N’ayant pu l’atteindre, Pépin rentra à Bourges aux approches de la mauvaise saison et s’occupa activement de l’érection des nouveaux remparts.

Nous ignorons complètement le rôle que joua Bourges sous le règne de Charlemagne et celui de Louis le Débonnaire ; ce que nous savons seulement, c’est que le premier comprit cette ville dans ses largesses posthumes et que le second y fit battre monnaie. Dès 817, la ville ne fut plus gouvernée que par des vicomtes, connus sans doute, mais dont il ne reste aucun monument même monétaire. Vers le milieu du IXe siècle, l’illustre comte Gérard de Roussillon, véritablement maire du palais sous Charles le Chauve, dans sa lutte avec ce prince pour la possession du comté de Bourges, mit à feu et à sang le pays des Bituriges, pendant deux années consécutives. Il est vivement à regretter qu’il ne nous soit resté sur cette guerre affreuse d’autre document que la copie d’un poème incomplet, la plus ancienne des chansons de geste écrites dans les dialectes méridionaux, œuvre probablement d’un poète des environs de Montpellier. Copié au XIIIe siècle par un manuscripteur italien, qui le mutila sous le rapport du mètre et de l’idiome, ce poème n’a pas été respecté davantage par M. Raynouard : le temps en a fait perdre le commencement et la fin, et ne nous a laissé que neuf mille trois cents vers.

 

Charles le Chauve, en 849, lorsqu'il alla prendre possession du royaume d’Aquitaine, d’où son frère Pépin avait été récemment expulsé, vint à Bourges au mois d’août ; il y retourna au mois de décembre, après le siège de Toulouse ; il y était encore au mois de juillet 853. Les monnaies de ce monarque, frappées dans cette ville, sont nombreuses. Le 29 septembre 866, Charles, roi d’Aquitaine et fils de Charles le Chauve, étant mort à Buzançais, ses restes mortels furent transportés à Bourges par l’archevêque Wulfad et Carloman, son frère, abbé de Saint-Médard de Soissons. Un tombeau lui fut élevé dans l’église du monastère de Saint-Sulpice. En 868, Bourges fut prise par les Normands, qui rompirent aussi tous les aqueducs gaulois ou romains, et brûlèrent et pillèrent la ville pendant plusieurs jours de suite. En 873, eut lieu une autre invasion non moins désastreuse pour le pays et pour sa capitale. Eudes, comte de Paris, remporta des avantages signalés sur les Normands, en 892, et enleva le comté de Bourges à Guillaume le Pieux, comte d’Auvergne. Celui-ci prit bientôt sa revanche : partisan de Charles le Simple, il continua de soutenir ses intérêts. Enfin, Guillaume étant mort en 919, Guillaume le Jeune, son neveu, s’empara de son héritage par surprise, au moins quant à Bourges ; mais les habitants, qui avaient une répugnance invincible à se trouver dans le parti des Carlovingiens, se soulevèrent et le chassèrent. Vers 922, Guillaume obtint du futur roi Raoul la restitution de Bourges et du Berry, en récompense de l’hommage qu’il lui en avait fait. Bourges a frappé un certain nombre de monnaies d’argent, au nom de Charles le Simple. Depuis 918, le pays des Bituriges avait été tenu héréditairement ; à compter de 929 il est réuni à la couronne, et la dignité de comte de Berry est abolie par le roi Raoul, dont il nous reste une monnaie d’argent frappée à Bourges. Les arrière-fiefs, tels que la vicomté de Bourges et la seigneurie de Bourbon, relevèrent immédiatement de la couronne. Ce fut une circonstance heureuse que la mort, sans postérité, du comte Guillaume le Jeune, car personne ne se présenta pour revendiquer son héritage (927). Nous avons aussi des monnaies d’argent de ce comte, et d’autres en grand nombre du roi Lothaire et de Philippe le Hardi, qui ne marquent pas autrement dans l’histoire de Bourges. Au carême de 1031, le roi Robert vint dans la capitale du Berry, où il fut reçu par le vicomte Geoffroy le Noble, son vassal ; après une excursion jusqu’à Toulouse, il rentra dans son royaume et revint à Bourges où il passa le jour des Rameaux.

Lorsque la croisade fut prêchée à Clermont, en 1095, par le pape Urbain II, Odon Harpin, vicomte de Bourges, ne put rester étranger à l’enthousiasme général ; il vendit sa vicomté au roi de France Philippe Ier pour la somme de soixante mille sous d’or. À ce sujet, l’auteur du roman de Guillaume au Court-Nez, nous apprend que Lambiers de Beorges (Landberth de Déols), avait donné l’exemple au vicomte. Quoi qu’il en soit, Odon Harpin partit en 1096, avec Pierre-l’Ermite, lui huitième chevalier de l’illustre association des enfants du Berry, parmi lesquels les Homères de l'époque nomment positivement Renaud de Baugy, Anjorrant, Amaury de Beorges, Garnier de Brenne, etc. Le rôle que joua le vicomte dans cette sainte guerre fut digne de l’épopée, bien qu’il n’ait pas été toujours honorable. Échappé à la déroute d’Héraclée, par la fuite, puis fait prisonnier avec le roi Baudouin et réclamé par Alexis, empereur de Constantinople, Odon Harpin revint enfin dans sa chère patrie, où il se fit moine et mourut postérieurement à l’année 1121.

Au mois d’octobre 1102, Philippe Ier, dont nous possédons plusieurs monnaies d’argent frappées à Bourges, vint dans cette ville, et les chevaliers de la vicomté nouvelle se pressèrent autour de lui. Son fils, Louis VI, dit le Gros, qui fit aussi frapper à Bourges des monnaies d’argent, y vint également en 1108 et surtout en 1121, pour marcher de là contre Clermont, dont les habitants avaient chassé leur évêque Aimery. Il se trouvait encore à Bourges, en 1122, avec son fils aîné, qui mourut avant lui, et il y réunit une nouvelle armée au milieu de l’été, en 1126. Le duc de Guienne, devenu roi de France sous le nom de Louis VII, se fit couronner à Bourges le jour de Noël 1137. Les fêtes furent brillantes et attirèrent un grand concours de monde. Aux fêtes de Noël 1145, Louis le Jeune y tint cour plénière et y fut couronné une seconde fois ; mais c’était principalement pour faire prêcher la croisade qu’il s’était rendu à Bourges et qu’il y avait convoqué cette grande réunion. Comme à Clermont, il s’y trouva des prélats en grand nombre, non du Midi mais du Nord. L’évêque de Langres, Godefroy, prêcha la guerre sainte et arracha des larmes à tous les auditeurs, lorsqu’il parla des malheurs d’Édesse et des chrétiens de l’Orient. Malgré ces larmes, les enrôlements furent peu nombreux. Après le départ de Louis pour l’Orient, au mois de juin 1147, Bourges devint le centre d’une vaste conspiration. Les conjurés étaient déjà maîtres de la Grosse Tour, mais la vigilance et l’habileté du ministre Suger déjouèrent leurs plans. On apprit enfin le retour du roi et tout rentra dans l’ordre. En 1159, Louis VII se trouvait encore à Bourges ; c’est alors qu’il affranchit complètement les biens de l’archevêque et qu’il lui permit, ainsi qu’à ses successeurs, d’en disposer, malgré son droit de régale, l’année de leur mort. Le 11 juin 1163, immédiatement après la clôture du concile de Tours, le pape Alexandre III écrivit au roi de France qu’il comptait se rendre prochainement dans la ville de Bourges, où il arriva en effet le 1er août suivant.

En 1170, la guerre faillit éclater entre la France et l’Angleterre. Henri II prétendit, en sa qualité de duc de Guienne, que l’archevêché de Bourges dépendait du duché d’Aquitaine et non de la France. Ce motif était peu solide, mais le roi d’Angleterre voulait se venger de Thomas Becket, que l’archevêque de Bourges avait reçu avec toutes sortes d’égards en 1165. Le roi de France s’opposa naturellement aux exigences inouïes de son compétiteur. Henri s’avança alors vers Montluçon, se croyant bien sûr de s’emparer de la ville de Bourges, où il s’était ménagé des intelligences. Mais Louis VII marcha contre lui, et il fut contraint de conclure presque immédiatement une trêve. Ce prince, disent les historiens anglais, avait promis à l’époux de sa fille Marguerite, Henri-au-Court-Mantel, fils de Henri II, tout le Vexin français ; et sa fille puînée, Alix, devait apporter en dot à Richard, second fils du roi d’Angleterre, la ville de Bourges avec toutes ses dépendances. Ces promesses un peu légères furent forcément rétractées à Ivry, ce qui n’empêcha pas la conclusion d’un traité : les deux rois s’obligèrent à faire ensemble le voyage de la Terre-Sainte, engagement que tinrent leurs fils. En 1162 et 1178, le roi vint encore à Bourges. En 1180, l’archevêque de cette ville, Ricard, figure à la cour de Guillaume le Bâtard avec Warmond, archevêque de Vienne, et des gentilshommes normands, comme juges dans un plaid, au sujet d’une île de la Seine que l’évêque d’Évreux voulait prendre à l’abbaye de la Sainte-Trinité, ainsi que l’atteste une charte extrêmement curieuse de cette époque.

Philippe-Auguste ayant atteint sa majorité vers le temps où la trêve de Nonancourt venait d’expirer, convoqua a Bourges tous ceux qui lui devaient le service féodal. Il connaissait parfaitement l’esprit de la ville où il avait déjà fait différents séjours, d’abord en 1186, puis en 1187. Quelques jours avant la Saint-Jean-Baptiste de cette dernière année, époque de l’expiration de la trêve, il avait quitté Bourges, pénétré dans le Berry et mis le siège devant Châteauroux ; mais une nouvelle trêve de deux années fut signée. La guerre n’en recommença pas moins en 1188. Philippe rassembla à la hâte une armée près de Bourges ; il surprit, le 18 mai, la forteresse de Châteauroux, et contraignit les bourgeois à lui jurer fidélité. En 1202, le roi fit construire une nouvelle tour à Bourges. Le même prince, en 1212, mit Simon de Sully, archevêque de cette ville, avec Hugues de Lusignan, comte de La Marche, à la tête de deux cents cavaliers et de dix mille fantassins qu’il envoyait au secours d’Amaury de Montfort. Ce fut encore cet archevêque qui, en 1224, fut chargé par Honorius III de remettre à Louis VIII une lettre dans laquelle il l’engageait fortement à entreprendre enfin l’extirpation de l’hérésie des Albigeois. On voit dans les cabinets de médailles des pièces de ce monarque, frappées à Bourges.

Peu de temps après la mort de son père, arrivée au mois de septembre 1223, Louis VIII, dont la principale affaire était cette guerre des Albigeois, vint à Bourges, où, en 1225, le légat du pape convoqua encore un concile qui s’ouvrit le 30 novembre. Afin de mettre un terme aux disputes de préséance entre les dignitaires de l’Église, on résolut de siéger non comme en concile, mais comme en conseil. Raymond, comte de Toulouse, et Amaury de Montfort comparurent en personne, et même furent entendus, mais on ne décida rien à leur égard. En 1226, le parlement de Paris se réunit au mois de janvier : le roi obtint de ses principaux barons le serment de l’aider et de le secourir comme leur seigneur-lige dans cette guerre sainte. Ensuite on se rendit à Bourges, où tout le monde se trouva rassemblé le 17 mai ; le roi et le légat étaient aussi présents. On délibéra longuement sur la prochaine croisade. Presque tous les assistants s’engagèrent à y prendre part ; mais, moyennant des sommes considérables, le légat releva de leurs vœux les femmes, les vieillards et les enfants. Le noyau de la nouvelle croisade partit enfin, se rendit successivement à La Charité, à Nevers, à Châlon-sur-Saône, à Lyon, à Avignon : toutefois, la peste et la guerre se réunirent bientôt pour rendre inutile cet armement, et le roi vint mourir en Auvergne le 8 novembre 1226. Dans cette croisade figuraient beaucoup de chevaliers appartenant au Berry, mais parmi ceux-là il en est un surtout que nous ne pouvons passer sous silence : c’est Thibaut de Blazon, parce qu’il mérite une place distinguée dans l’histoire littéraire de la France. Cet élégant trouvère est né dans un hameau de la commune de Saint-Martin-d’Auxigny, et c’est à tort que quelques écrivains l’ont confondu avec Thibaud, comte de Blois et de Champagne. Dans cette guerre se signalèrent, en outre, le comte de Brennes, Roger de Linière et Allard de Rocé.

En 1234, Grégoire IX désigna d’office Philippe Berruyer, évêque d’Orléans, pour succéder à Simon de Sully, archevêque de Bourges. Ce prélat était surtout remarquable par une douce charité qui réellement ne connaissait point de bornes ; ainsi, trente pauvres qu’il entretenait, couchaient dans la même chambre que lui. Tous les jours une aumône générale eut lieu au palais archiépiscopal, et trois fois par semaine, dans les résidences de Cornusse, de Turly et de Maurepas. Philippe répondit à son économe, effrayé de ce que, pendant une famine, il avait élevé ses charités quotidiennes jusqu’à quatorze setiers de blé : « Si les revenus de l’Église s’épuisent, tu prendras les miens. »

Il avait pour habitude de donner audience aux pauvres, avant d’entendre les riches. Un jour, une vieille femme, placée à côté du seigneur de Châteauroux, entouré de ses nobles, et qui insistait pour que l’archevêque expédiât ses affaires, fut appelée par l’illustre prélat, quoiqu’elle fût couverte de haillons. L’archevêque prit sa requête, lui rendit immédiatement justice, car il tenait alors sa cour, et se tournant du côté du seigneur : « Ne vous étonnez point, lui-dit-il, de ce que cette malheureuse passe avant tous ; elle n’aura encore que trop de peine à regagner à pied son village, tandis que vous, escorté de vos nombreux serviteurs, et monté sur un bon cheval, vous arriverez bientôt à votre château. » Ce fut pourtant contre ce vertueux prélat qu’éclata, peu de temps après, dans son propre palais, en présence du légat du pape, une violente émeute. Les portes furent enfoncées par la populace qui, pénétrant dans ses appartements, accabla de pierres Philippe et son hôte. Louis IX fit aussitôt arrêter les principaux citoyens de la ville, pour garantir l’amende à laquelle elle fut condamnée pour ce sacrilège. Au mois d’août 1248, le saint roi s’embarqua pour la croisade. Ici figurent encore plusieurs noms illustres appartenant au Berry, et, entre autres, le seigneur de Meheung qui était à la croisade en 1239, et qui y mourut l’année suivante ; son fils, Pierre Ier, accompagna Louis IX et fut tué, le 8 février 1250, à l’attaque de Mansourah.

En 1251, les pastoureaux marchèrent sur Bourges, dévastant tous les pays qu’ils traversaient. Les habitants les reçurent, et à peine furent-ils entrés dans la ville, que leur premier acte fut le pillage de la synagogue, ainsi que la destruction des livres sacrés des juifs. Le jour de la réaction arriva, et, privés de leur chef assassiné, ils se retirèrent précipitamment ; les habitants suivirent leurs traces, les attaquèrent et les défirent aux environs de Villeneuve-sur-Cher.

A la septième et dernière croisade de 1269, on compta peu de chevaliers du Berry : échappé aux périls de celle de 1249, le seigneur de Châteauroux périt dans celle de 1270. A l’une ou l’autre de ces croisades appartiennent les deux Lion de Bourges, trouvères qui figurent honorablement aussi dans l’histoire littéraire de la France, et sur lesquels nous savons très peu de chose. Ce qu’il y a de certain, c’est que de leur temps ils marchaient de pair avec ce que la noblesse, la littérature et l’art militaire avaient de plus illustre, ainsi que l’atteste un passage de la chronique en vers de Bertrand Du Guesclin. Furent-ils trouvères l’un et l’autre ? n’y en eut-il qu’un ? l’un seulement est-il l’auteur de la chanson de geste intitulée : le Roman du duc Lion de Bourges ? Si leur existence même n’est point fabuleuse, étaient-ils les fils inconnus aussi du comte Odon Harpin ? Ce sont là autant de questions encore insolubles aujourd'hui. Philippe le Hardi ne visita la capitale du Berry que le 14 novembre 1285, et escorté d’un funèbre cortège qu’accompagnait à son tour son jeune fils Philippe le Bel. Philippe le Long porta le titre de comte palatin de Poitiers et de Bourges. Pour la première fois, cette dernière ville faisait partie de l’apanage d’un prince du sang. Philippe le Long venait souvent à Bourges, et il y passa toutes les fêtes de Pâques de l’année 1317. Vers la même époque, il y convoqua les députés des bonnes villes, et surtout ceux du Languedoc, pour leur demander des subsides. En novembre 1318, il y revint encore dans le but secret d’en obtenir de nouveau de l’argent pour la ruineuse guerre des Flandres. Tous les nobles hommes du Berry y furent donc convoqués. Charles le Bel ne vint dans cette province qu’une fois, et ce fut pour y perdre un fils, au mois de mars 1324. Le roi et la reine, Marie de Luxembourg, revenaient de Toulouse ; la fatigue du voyage contraignit Marie à s’arrêter au château d’Issoudun, et c’est là, qu’avant terme, elle mit au monde un enfant mâle qui mourut immédiatement, et que sa mère suivit bientôt. L’un et l’autre furent inhumés dans l’église de l’abbaye de Notre- Dame d’Issoudun.

 

Le 5 mai de la même année, l’archevêque de Bourges dédia la nouvelle cathédrale qui venait d’être achevée, et qui avait été commencée dans le XIIIe siècle. L’achèvement de la nef datait de la première moitié du XIVe. Il nous serait impossible avec deux fois plus d’espace que nous n’en pouvons accorder à l’histoire de cette ville, d’esquisser une description de ce somptueux monument, dans lequel on ne sait ce que l’on doit le plus admirer, de la hardiesse de son élévation ou de la richesse et de la profusion des détails de sculpture.

Pour donner une faible idée de ces travaux considérables, nous nous bornerons seulement à dire que le grand porche forme une véritable épopée au milieu de tous ces travaux inouïs. C’est une immense représentation en trois actes, des derniers mystères de la vie humaine : la résurrection, le jugement et son exécution. Au premier acte, le sommeil éternel a cessé, les morts se lèvent, et trente-trois personnages, pas moins, concourent au but général. Il n’en est pas de même du second ; ici, nécessairement, il y a plusieurs scènes ; c’est le jugement dernier : à chacun selon ses œuvres. Au centre, l’ange de l’éternité pèse impassiblement les actions d’un jeune homme que le diable repousse, parce que le bien l’emporte sur le mal. A la droite du peseur céleste, est Abraham, paisiblement assis dans le paradis ; il tient des âmes plein son giron. Plus loin, saint Pierre ouvre la porte aux bienheureux, dont les figures habilement travaillées expriment la béatitude. Enfin, un ange apporte un tout petit enfant, tandis que d’autres descendent avec des couronnes. Du côté opposé, la scène change : ce sont des actes de désolation ; ce sont les réprouvés. Quel contraste entre ces figures et ces corps et ceux de l’acte précédent ! Quelle transition effroyable et subite ! Des démons hideux précipitent les méchants désespérés dans une chaudière immense où les flammes et les animaux immondes dévorent leurs chairs. Au lieu du calme dès scènes précédentes, ici tout est agitation, désordre et pêle-mêle d’exécuteurs et d’exécutés. Au-dessus de cette Divine Comédie est assis le Christ, entouré d’anges, portant les instruments de sa mort : à sa droite est la Mère-Vierge, dans l’attitude de la piété rêveuse ; à sa gauche saint Jean-Baptiste agenouillé priant et suppliant le Dieu vengeur, par l’intercession de son fils unique. Au-dessus, des anges soutiennent encore la lune et le soleil. Puis règnent six cordons où s’étalent, dans la voussure, tous les personnages de la cour céleste. Les clochetons qui les dominent, comme les corbeaux qu’ils supportent, tout est du plus beau travail.

 

Au mois d’août 1353, les habitants de Bourges obtinrent de la justice de Jean qu’à l’avenir ils ne seraient plus séparés du domaine immédiat de la couronne ; mais cet engagement solennel ne fut pas respecté : lorsque le roi eut abandonné aux Anglais les comtés de Poitiers et de Mâcon, il donna, à titre de dédommagement, le duché de Berry à son troisième fils, le comte d’Auvergne. Né le 30 novembre 1340, le duc Jean de Berry n’avait pas encore atteint sa vingtième année le jour où son père, encore prisonnier, ratifia à Calais le traité de Brétigny ; il avait assisté à la bataille de Poitiers, d’où il s’était enfui avec huit cents lances. En 1356, le prince de Galles vint mettre le siège devant la capitale même du duc de Berry, à la tête de deux mille hommes d’armes et de six mille archers, laissant partout derrière lui la famine et la désolation. Il fit brûler les faubourgs. Au moment où il pénétrait dans la ville, grâce à la perfidie d’un nommé Perrot Menais, qu’il avait gagné, une vive escarmouche s’engagea ; le prince anglais fut contraint de renoncer à ses projets, et se retira à Issoudun. Le traître eut la tête tranchée.

En 1359, le duc Jean était lieutenant du roi en Languedoc, et le 24 juin de l’année suivante il reçut cent mille florins d’or de Jean Ier, comte d’Armagnac, dont il venait d’épouser la fille à Carcassonne. Créé pair de France, duc de Berry et comte d’Auvergne, sans que ces immenses terres fussent distraites du domaine royal, il passa le détroit avec les nombreux otages promis à l’Angleterre. Le 6 mars 1361, il obtint d’Édouard III un sauf-conduit qui ne s’étendait que jusqu’à la fête de l’Assomption ; cependant il se trouvait encore à Bourges au mois d’avril 1362. Vers les premiers jours de janvier 1364, le roi Jean, son père, retourna à Londres, où il mourut le 8 avril suivant. Les ducs d’Orléans et de Berry, qui n’avaient point quitté ce malheureux prince dans ses derniers moments, se hâtèrent de communiquer cette grande nouvelle au duc de Normandie, leur frère. Sous le règne de Charles V, la guerre désola surtout la province de Berry ; les Anglais et les Français y étaient sans cesse aux prises. Dans la crainte de voir sa capitale exposée à un nouveau siège, le duc fit augmenter les fortifications et les dépendances de la Grosse Tour (1374). Toutefois, il jouit paisiblement de ses vastes apanages jusqu’à la mort du roi (1380). Le duc Jean, malgré le luxe vraiment royal de sa propre maison, les dépenses énormes de la guerre et de son séjour en Angleterre, malgré ses acquisitions considérables et ses fréquents voyages, avait entrepris à Bourges, ou dans ses environs, de vastes constructions, parmi lesquelles nous nous bornerons à désigner son magnifique palais, monument gigantesque dont il ne reste plus que d’immenses ruines ; le château de Meheung, en partie détruit également depuis une trentaine d’années, et la somptueuse Sainte Chapelle de Bourges, qui a disparu entièrement. Le premier de ces monuments, c’est-à-dire le palais royal, possédait une salle de cinquante-deux mètres de longueur sur vingt de hauteur et de largeur. Il en est souvent fait mention dans l'histoire locale. C’est là que se réunissait la noblesse, ban et arrière-ban ; que furent transportés, après le funeste incendie de 1437, toutes les juridictions de la ville ; que, plus tard, la coutume du Berry fut discutée (1539) ; et que les protestants, dès 1562, tinrent leurs premières réunions.

Par lettres patentes, en date du 19 novembre 1380, le duc Jean fut nommé lieutenant du roi dans la province de Guyenne. C’était en quelque sorte une souveraineté absolue que venait de lui créer la minorité si désastreuse ou peut- être la folie du nouveau roi. Avant de se rendre à ce nouveau poste, le duc vint à Bourges au mois de février de l’année suivante, afin d’aviser à la pleine sécurité de ses terres de Berry, d’Auvergne et de Poitou ; il en confia la garde au maréchal de Sancerre, et partit ensuite avec des troupes nombreuses qui furent défaites par le comte de Foix, auquel Charles V avait antérieurement confié le gouvernement de la province. Lorsque le duc de Berry fut éloigné des affaires publiques et vit son prodigieux crédit lui échapper, il se livra à son goût si vif et si délicat pour les lettres et les constructions. Le 16 septembre 1402, il résigna ses grands fiefs entre les mains du roi, en s’en réservant seulement l’usufruit : Charles VI avait assuré au second de ses fils la survivance du duché de Berry.

Cependant le vieux duc ne pouvait pardonner à Jean sans Peur, duc de Bourgogne, son neveu, de s’être emparé exclusivement de la direction des affaires du royaume. Sa jalousie était partagée, du reste, par les autres princes du sang, avec lesquels il signa la ligue de Gien, en 1410. La rébellion du duc de Berry étant flagrante, le conseil de Charles VI résolut de porter la guerre, au printemps de l’année 1412, sur les domaines de Jean de Berry. Du Haillan raconte que, cette même année, un Brichauteau, sieur de Linières, et un Richelieu, eurent un combat singulier, vers les piliers de la justice de Bourges, pour décider du sort des combattants, et que le sire de Linières, qui tenait pour les princes, tua son adversaire. Le bruit courut alors qu’un moine était allé traiter, à Londres, avec le roi d’Angleterre ; peu de temps après (18 mai 1412), les envoyés de ce monarque concluaient à Bourges même l’alliance par laquelle il promettait aux princes aide et protection, à condition qu’ils reconnaîtraient ses droits sur la Guyenne, et qu’ils se proclameraient ses vassaux, quant à ceux de leurs domaines situés dans cette province, et s’engageraient en outre à le soutenir dans toutes ses querelles avec le roi de France. A ces conditions, Henri IV leur envoya une armée de huit mille hommes pour faire la guerre au duc de Bourgogne.

Charles VI alla prendre incontinent l’oriflamme à Saint-Denis, et partit pour la Charité. L’armée se préparait à marcher sur Bourges, quand tout à coup un horrible ouragan vint y semer le désordre. Arrivé devant la ville, le roi la fit sommer de se rendre : « Je suis, répondit le duc, parent du roi et son serviteur ; je lui garderai sa ville de Bourges, parce qu’il a auprès de lui des gens qui ne devraient point y être. » Une seconde sommation n’ayant pas mieux réussi, on se prépara à faire le siège. Dans la ville, se trouvaient les princes de Berry, d’Orléans, de Bourbon, d’Armagnac, tous leurs nombreux adhérents, ainsi qu’un grand nombre de prélats et de seigneurs, qui s’étaient retirés auprès du chef nominal du parti d'Orléans. Le 11 juin, l'armée royale vint prendre ses positions : quelques hommes d'armes, commandés par les ducs de Berry et d'Orléans, se jetèrent sur les éclaireurs, en criant : Vive le roi ! Enfin, le siège fut commencé. Pendant les deux premiers jours, les Armagnacs restèrent inactifs ; les assiégés échangèrent avec les assiégeants quelques projectiles et quelques injures. Le 13, le bruit fut habilement répandu dans le camp qu’une trêve avait été conclue : les soldats ayant quitté leurs armes, les princes, à l'instant même, firent sortir un millier de soldats par les portes non gardées, avec ordre d'aller par derrière surprendre les Bourguignons et les Picards, qui composaient l'avant-garde ; mais le hasard les fit apercevoir, et la nouvelle en fut aussitôt donnée au camp : on s’arma à la hâte, et la mêlée fut terrible. La cavalerie, abandonnée par les fantassins, rentra dans la ville, ayant perdu deux cents hommes.
Le 18, l’armée royale fut obligée de changer de position. Les assiégés, qui avaient considérablement souffert, crurent qu’elle se retirait dans la crainte des Anglais, dont on annonçait l’arrivée prochaine ; mais ils furent cruellement désabusés lorsqu’ils la virent, dès le lendemain matin, venir camper au nord de la ville. Alors ils n’hésitèrent point et mirent encore une fois le feu aux vastes faubourgs de ce côté. En vain le roi demandait de l’argent partout ; il ne lui en arrivait pas, et l’armée murmurait hautement. Le duc de Berry était aussi à la veille de voir ses finances épuisées. D’un autre côté, les assiégés assistaient avec douleur à la destruction de leurs plus beaux monuments par les projectiles de l’ennemi. Tout le monde désirait la paix, surtout le Dauphin, Louis, duc de Guyenne, qui prit sur lui de faire cesser le feu de l'armée royale.
Sur ces entrefaites, un ambassadeur d’Amédée VIII de Savoie, petit-fils du duc Jean et beau-frère du duc de Bourgogne, offrit sa médiation. Le roi l’accepta, et, après plusieurs conférences secrètes, on vit sortir de la ville les députés du duc : c’étaient le vieil archevêque de Bourges et plusieurs grands personnages. Le roi les admit en sa présence, assis sur un trône, entouré des ducs de Guyenne et de Bourgogne et de Louis, roi de Sicile, arrivé le jour même. L'archevêque offrit ses hommages au roi et à tout son conseil, le duc de Bourgogne excepté ; puis il excusa très longuement les princes, et affirma que jamais ils n'avaient commis d'attentat contre l'autorité du monarque ; il termina en demandant formellement l'arrestation de leurs calomniateurs. Le duc Jean consentit enfin à entrer en pourparlers avec Jean sans Peur ; et, deux heures après, ils se donnaient les témoignages de la meilleure intelligence. Le 14 juillet, une nouvelle entrevue eut lieu entre les ducs de Berry et de Bourgogne : tous deux, au retour, manifestèrent une grande joie. Le 16, le vieux duc et les princes, portant leurs écharpes, escortés de nombreux chevaliers, se rendirent dans la tente du duc de Guyenne ; car le roi était en proie à un nouvel accès de folie. Là se trouvèrent les chefs du parti bourguignon : un traité fut conclu, et l'on s'embrassa ; le duc de Berry pleura en baisant son neveu. Le festin fut ensuite servi, et, dès qu'il fut terminé, le duc Jean présenta au jeune prince les clefs de la ville ; dès ce moment, il fut sévèrement défendu aux deux factions de se servir des qualifications d’Armagnac ou de Bourguignon, Un dimanche, le 18, le roi de Sicile, le comte de Penthièvre, le duc de Bar, ainsi qu'un grand nombre de chevaliers, dînèrent au palais royal ; et, le 20, l’armée plia ses tentes.

 

En 1414, le duc de Berry donna le château de Meheung à son neveu, le Dauphin Louis ; celui-ci se rendit à Bourges le jour de la Toussaint, et y resta jusqu au 7 décembre. On sait que le prince Louis mourut à la fin de l’année suivante. Quant au duc de Berry, sa fin approchait. Il tomba gravement malade en son hôtel de Nesle, à Paris, au mois de mai, et, le 15 juin 1416, au soir, il expira. Le 21, immédiatement après le service funèbre, le corps de Jean fut placé sur un chariot couvert d’un drap noir, orné d’accessoires aux armes de France et de Berry et d’une grande croix rouge ; le cortège s’achemina lentement vers Bourges, stationnant toutes les nuits dans les églises de chaque ville importante. Il arriva à sa destination le 27. De somptueux préparatifs avaient été faits dans la Sainte-Chapelle, où les funérailles du duc furent célébrées le 28. Charles VII éleva plus tard un tombeau au duc Jean, au milieu du chœur de cette chapelle. Sur un socle en pierre, environné de quarante niches surmontées de dais ou clochetons à jour, en marbre blanc, reposaient autant de statuettes de moines mendiants dans l’attitude de l’affliction. Huit seulement de ces charmantes statuettes ont été préservées de la destruction ; on les conserve dans le musée du Cher. Quant à la superbe statue de Jean, on la voit aujourd’hui dans la crypte de Saint-Étienne ; elle est en marbre blanc et repose sur une table en marbre noir ; le prince tient dans ses mains un sceptre ; à ses pieds est une petite ourse enchaînée et muselée. Sur les bords du manteau ducal, on lit la devise du duc : Oursine le temps venra ; allusion de tendresse conjugale adressée à sa seconde femme, Jeanne de Boulogne.

Jean le Magnifique ne fut pas seulement un ami éclairé des beaux-arts, il aima aussi passionnément les lettres, et surtout les bons et beaux livres. Sous le premier de ces rapports, il nous reste de lui des monuments qui ne dépareraient point le recueil de Charles d’Orléans avec lequel il lutta si heureusement dans ce genre de poésie nommé alors jeu mi-parti. Une chose inouïe enfin était la somptueuse et riche librairie réunie par ses soins soit au château de Meheung, soit à la Sainte-Chapelle, et dont le catalogue a été publié dans un volume de Barrois intitulé : Bibliothèque prototypographique. Sous ce dernier point de vue, il existait à Bourges un catalogue intitulé : Livres qui furent du roi, lequel constate également que son amour éclairé des livres ne connaissait ni bornes ni obstacles. Il est assez difficile de savoir cependant si ce catalogue fut dressé pour les livres dont le duc s’empara au moment de la mort de Charles V, son frère, ou bien pour ceux qu’il fut obligé de restituer lors de sa disgrâce momentanée sous Charles VI. La majeure partie des manuscrits faits par les ordres du duc ou recueillis à ses frais, existent à la Bibliothèque du roi, dont elle forme pour ainsi dire le noyau ; et très certainement le plus somptueux, le plus beau des manuscrits de cette bibliothèque est encore le livre d’heures que le prince fit exécuter ; ici l’on ne peut élever aucun doute alors même qu’on n’aurait pas pour témoignage la signature de Nicolas Flamel. Ce qui démontrerait au besoin que ce manuscrit inestimable fut peint pour le duc et réellement par ses ordres, c’est que dans ses admirables encadrements figurent à chaque page l’ourse et le cygne ainsi que les initiales V. et E. enlacées, qui désignent Ursine ou son nom en rébus, de même qu’Henri IV ornait les cadeaux qu’il faisait à Gabrielle d’un S avec un trait qui le barrait. Nous possédons une seule monnaie en or frappée au nom du duc Jean.

En 1419, Charles VII, alors Dauphin, partit du Berry pour assister aux conférences de Montereau, d’où il revint à Bourges après l’assassinat de Jean sans Peur. Il y passa tout l’hiver de 1422 dans un état pour ainsi dire voisin de la pauvreté. Malgré le traité de Bourges, ratifié par le roi, Philippe le Bon, duc de Bourgogne, réunit encore une armée et demanda des troupes au roi d’Angleterre alors à Paris, qui lui répondit qu’il viendrait en personne, mais qui mourut en route le 31 août. Le duc de Bedford rejoignit, à sa place, le duc de Bourgogne à Vézelay : de là, ils se rendirent à Cosne le 15 août. Le lendemain, cette ville devait être assiégée, mais le Dauphin, effrayé des forces ameutées contre lui, leva le camp, et se retira à Bourges, vigoureusement poursuivi par les ducs de Bourgogne et de Bedford.

Charles VII était à Meheung lorsqu’on vint lui annoncer là mort du roi son père, arrivée le 20 octobre 1422. Aussitôt il convoqua les états-généraux dans la capitale, de fait, de son royaume. Toutes les cours du roi siégèrent dès lors à Bourges, qu’il ne quitta guère, ni cette année ni une grande partie de l’année suivante, si ce n’est cependant pour aller à son château de Meheung. Le 3 juillet 1423, un Dauphin naquit à Bourges. Cet enfant, qui devait être l’un des plus grands rois de la monarchie, fut baptisé à Saint-Étienne, et mis immédiatement en nourrice chez une pauvre femme de la ville nommée Jeanne Pomponne. Le 16 janvier 1424, afin de mettre un terme aux désolations continuelles dont le Berry était accablé depuis si longtemps, le roi conclut un traité avec le Dauphin d’Auvergne, pour tenir garnison dans les pièces qu’il avait héritées des comtes de Sancerre. Des tentatives aussi vaines que multipliées furent faites ensuite auprès de lui, dans le but de l’arracher à l’influence des Armagnacs : sa fatale amitié pour eux finit par lui aliéner jusqu’aux sentiments des habitants de Bourges, où il n’alla pas une seule fois pendant les années 1425 et 1426. Aussi, lorsqu’il convoqua les états-généraux, en novembre 1425, ce fut dans son château de Meheung qu’il les réunit, et non à Bourges qui était hostile aux Armagnacs. Dans les premiers mois de 1428, les comtes de Clermont et de Perdriac, ainsi que le maréchal de Boussac, marchèrent sur Bourges, où les sires de Prie et de Bonnay commandaient au nom du roi. Les habitants leur ouvrirent les portes, et les dissidents se réfugièrent dans la Grosse Tour, où ils soutinrent un siège. Charles VII, alors à Poitiers, accourut aussitôt avec une troupe de gens d’armes, et vers la fin de juillet il campa devant sa capitale réelle. Il commença par sommer les comtes de Clermont et de Perdriac, ainsi que le maréchal, d’avoir à évacuer la place. Ceux-ci s’y refusèrent : cependant, après de longues négociations, le roi finit par leur accorder des lettres d’abolition, et rentra dans Bourges le 17 juillet 1428. Vers la fin de l’année, les affaires du roi, qu’il fallait toujours servir malgré lui, étaient en si mauvais état, qu’en échange d’un nouveau secours il livrait, par un traité daté du 10 novembre, la province même du Berry.
Le 11 janvier 1429, les habitants de Bourges avaient envoyé des vivres et de la poudre aux assiégés d’Orléans, commandés par Jeanne d’Arc. La reine, qui était venue rejoindre le roi, vers la fin de juin, dans l’espoir de le suivre, avec cette armée, fut contrainte de retourner à Bourges ; le 25 septembre, Charles VII y revint accompagné de la vierge de Domrémy, qui venait de le faire sacrer au maître-autel de Reims. De là, on se rendit à Meheung, où il fut décidé que la Pucelle irait assiéger Saint-Pierre-le-Moutier et la Charité. Le 24 novembre 1429 les habitants de Bourges envoyèrent encore à Jeanne, sur sa demande expresse, treize cents écus d’or, pour servir au siège de cette dernière ville, dont elle était alors occupée. Malgré ce secours, livré instantanément, elle fut obligée de lever le siège, après avoir perdu toute son artillerie, et ce ne fut qu’en 1440 que le roi s’empara de cette place en revenant à Bourges, après avoir mis fin à la guerre de la Praguerie.

C’est de cette époque que date la fortune prodigieuse de Jacques Cœur. Fils d’un marchand de pelleteries, et né dans le petit village de Poussan, près de Montpellier, il s’était établi de bonne heure à Bourges, où, dès l’année 1427, il se trouva mêlé à quelques agiotages sur les monnaies et les métaux. Vers la fin de 1429, un certain Ravau, étranger également au Berry, vint trouver le roi au château de Meheung afin d’obtenir des lettres de rémission pour les abus qu’il avait commis « au faict des monnoies. » Jacques Cœur était au nombre de ses associés. Il avait affermé et géré, au nom de Ravau, la monnaie de Bourges. On l’accusa formellement d’avoir fait ouvrer à part monnaie d’or et d’argent de moindre poids et aloi, que ne le portait l’ordonnance, et réalisé, en outre, des bénéfices immenses et tout aussi peu licites sur l’affinage de l’argent. Charles VII, que les dépenses de la guerre obligeaient de ménager les gens de finances, « convertit ces cas criminels en cas civils», et condamna seulement les délinquants à une amende de mille écus d’or. Cette sentence n’amena point la dissolution de la société formée par Ravau et Jacques Cœur, qui s’étaient adjoint les frères Godard de Bourges. Elle était d’ailleurs constituée pour « tout faict de marchandises et mesmement du faict du roy, de monseigneur le Dauphin et d’autres seigneurs, et pour toutes choses dont elle pouvoit faire son profit. » Elle continua donc ses opérations de banque de toute nature jusqu’à la mort des frères Godard, c’est-à- dire jusqu’en 1439.
Jacques Cœur possédait déjà d’immenses richesses en Provence et en Languedoc, lorsqu’il épousa Marie Léodepart, fille d’un valet de chambre du duc Jean, et petite-fille de Jean Roussard, maître de la monnaie de Bourges (1419). Il prêta comme on sait, des sommes considérables au roi, qui le nomma son argentier. Pendant le séjour de Charles VII à Bourges, au château de Meheung, son argentier s’éleva un magnifique hôtel du produit de ses bénéfices journaliers (1443) ; et quand ce prince rentra dans la capitale de son royaume, ces mêmes bénéfices lui suffirent pour en élever un autre non moins splendide à Paris (1450). Son titre d’argentier ne l’empêcha point de continuer ses opérations commerciales. Il faisait vendre dans l’hôtel des monnaies de Bourges, et souvent dans le palais même du roi, toutes les marchandises que lui envoyaient ses facteurs, répandus, comme nous l’apprend du Clerq, dans tout le royaume. Ses services lui firent accorder par le roi des lettres de noblesse. En 1444 il fut chargé, avec Jean d’Estampes, son ami, d’installer à Toulouse le nouveau parlement, et dans cette mission, il trouva encore le moyen, de s'occuper de négoce. Depuis lors, jusqu’en 1450, il figura au nombre des conseillers qui, tous les ans, allaient assister, au nom du roi, aux États de la province et solliciter le don gratuit que cette assemblée offrait à la couronne. Jean Cœur, son fils, nommé au siège archiépiscopal de Bourges, fit son entrée dans cette ville, le 5 septembre 1450, sous les yeux de son père et de ses nombreux amis. En 1447, il construisit la superbe sacristie de Saint-Étienne et obtint l'autorisation de convertir l'ancienne en une chapelle sépulcrale pour lui et sa famille : c’est aujourd’hui la chapelle de Saint-Ursin ; Nicolas Cœur, évêque de Luçon, y fut enseveli.

Hôtel de Ville de Bourges, acienne maison de Jacques Coeur, vers 1855 - gravure reproduite et restaurée numériquement par © Norbert Pousseur
Maison de Jacques Caoeur, Hôtel de Ville de Bourges vers 1855,
gravure des frères Rouargue, tirée de l'Histoire des villes de France d'Aristide Guilbert - 1859
(collection personnelle).

À son retour d’une double mission diplomatique en Italie, Jacques Cœur prêta encore deux cent mille écus au roi pour chasser les Anglais de la Normandie : aussi, lorsque le monarque fit son entrée triomphale dans cette province, l'argentier marchait-il immédiatement et de pair avec le sire de Culan, grand-maître d'hôtel, et le sire de Grammont, premier chambellan ; il portait exactement le même costume que le fier comte de Dunois et le sénéchal de Poitou, lesquels venaient derrière lui. Marié à Bourges, c'est dans cette ville que Jacques Cœur laissa toujours sa femme et ses enfants ; c’est toujours là qu'il était rappelé par ses affections de famille. En 1443, il acheta le fief de la Chaussée, appuyé sur les vieux remparts et comprenant deux tours, pour y bâtir le magnifique hôtel dont nous avons déjà parlé. Cet édifice dessine un parallélogramme irrégulier, dans lequel on pénètre par deux portes d’inégale dimension, et, sur le derrière, par une porte donnant dans un passage étroit et voûté. Dans la cour surtout sont prodigués les ornements. Au rez-de-chaussée régnait une galerie couverte ; au premier, au-dessus de la grande porte d'entrée, se trouvait la chapelle avec ses beaux anges aux cheveux blonds, aux ailes vertes, sur un fond d'azur semé d’é- toiles d'or, où, sur des banderoles, on lisait des passages du Cantique des Can- tiques. Au-dessus des différentes portes qui communiquent avec la cour, on voit encore aujourd'hui des bas-reliefs rappelant la destination première des pièces auxquelles elles aboutissent : un prêtre avec un enfant de chœur et un mendiant annoncent cette élégante chapelle flanquée de deux balcons d'un style délicieux ; des arbres fruitiers, la salle à manger ; une vaste cheminée entourée de cuisiniers à l'œuvre, la cuisine. Du côté de la rue, au-dessus du portail, sur l’un des balcons, figurait une statue équestre de Charles VII, qu’on a détruite pendant la Révolution ; à droite et à gauche, dans l'embrasure d'une fenêtre, des personnages faisaient le guet ; partout se reproduisaient les emblèmes de l’argentier, des cœurs et des coquilles, au milieu des sculptures des portes, des fenêtres, des galeries, des frises, et jusque sur les feuilles de plomb des toitures et les têtes de clous des vitraux.

Nous ne rapporterons point ici les causes qui amenèrent la disgrâce et la ruine de Jacques Cœur, parce qu'elles sont étrangères à l'histoire de Bourges. Accusé d'avoir empoisonné Agnès Sorel, la maîtresse de Charles VII, il fut arrêté, le 31 juillet 1451. Ses biens furent immédiatement saisis, et le roi, toujours nécessiteux, préleva sur ces dépouilles cent mille écus pour soutenir sa guerre de Guyenne. La procédure dura longtemps. Du château de Taillebourg, l'ancien argentier de la couronne fut transféré dans celui de Lusignan, où on l’interrogea, le 10 septembre 1451, sans pouvoir obtenir le moindre aveu de sa part. Soumis à la question, la veille du dimanche des Rameaux 1453, il se confessa coupable de tout ce qu’on voulut. Vers ce temps-là mourut à Bourges Marie Léodepart, sa femme, dont il avait eu cinq enfants qui ne laissèrent point de lignée masculine Le 29 mai, Guillaume-Juvénal des Ursins prononça, au château de Lusignan, où se trouvait le roi, l’arrêt qui privait Cœur de tous offices royaux et l'en déclarait à jamais incapable, le condamnait à faire amende honorable et au bannissement perpétuel, etc. ( Le parlement de Toulouse enregistra l'arrêt, le 15 août 1454.) On reconduisit le condamné au château de Poitiers où, le 4 juin, le chancelier, suivi des commissaires, lui donna lecture de l’arrêt. Puis un échafaud fut dressé sur la place publique, et il fut contraint d’y faire amende honorable, sans chaperon ni ceinture, ayant une torche de dix livres au poing, et de crier merci à Dieu, au roi et à la justice. On se hâta ensuite d’exécuter la sentence de confiscation. Ses palais de Bourges, de Sancerre, de Paris, de Montpellier, de Lyon, de Beaucaire, de Marseille, de Béziers, de Toulouse, de Saint-Pourçain ; ses seigneuries de Menetou-Salon, de Lavau, de la Coudre, de Champignelles, de Merille, de La Bruyère, de Saint-Germain, de Meauné, de Saint-Aour, de Boissy en Rouennais, de Saint-Géran, de Vaux, de La Palisse, d’Angerville, de Larivière, de Saint-Maurice sur l'Aveyron, de Boulancour, de Gironville, de la Frenoy, de Melleroy, de Villeneuve, de Marmagne, de Maubranches, de Barlieu, d’Ainay-le-Vieil et de l’Ids Saint-Georges ; la baronnie de Toucy, la châtellenie de Saint-Fargeau, presque tout le pays de Puisaye, et enfin ses marchandises, ses galères, celles du moins qui se trouvaient dans les ports de France, tout ce qu’il possédait fut mis sous la main du roi, sans nul égard pour les justes réclamations des tiers. Dans les premiers mois de Fanée 1453, avait eu lieu à Bourges la vente de son mobilier. Deux de ses ennemis les plus acharnés, Antoine de Chabannes, comte de Dammartin, et Guillaume Gouffier, se firent donner la plus grande par tie de ses dépouilles.
Jusqu’en 1455, on ignore complètement le sort de Jacques Cœur : alors seulement on le voit dans le couvent des Cordeliers de Beaucaire. L’époux de sa nièce, le principal de ses facteurs, qui avait sauvé quelques-unes de ses galères, reçut une lettre de lui, par l’entremise d’un corde lier venu à Marseille : cette ville appartenait alors au bon roi René ; il partit à l’instant pour Tarascon, se logea dans le couvent des Cordeliers, et, peu de jours après, Jacques Cœur, rendu à la liberté, arriva à Marseille, où il trouva une de ses galères sur laquelle il s’embarqua pour aller à Rome. Le pape Nicolas V, auprès duquel l’argentier du roi avait été ambassadeur en 1448, l’accueillit dans son palais avec beaucoup de distinction. Grâce à tout ce qu’il possédait hors de France, Cœur se trouvait encore maître d’une brillante fortune. Il fut investi par le pape Calixte III d’une haute mission dans le Levant, où il mourut, le 25 novembre 1456. Le roi restitua, en 1457, aux deux fils séculiers de Cœur les maisons de Bourges et les biens du Berry qui n’avaient point été vendus, deux maisons de Lyon, des mines d’argent, de plomb et de cuivre, ainsi que toutes les créances non encore soldées, mais sous la condition expresse qu’ils renonceraient à toute réclamation ultérieure sur la fortune de leur père : ce qui ne les empêcha pas, après la mort du roi, de commencer des poursuites devant le parlement de Paris, pour obtenir la révision du procès de Jacques Cœur. Cette affaire ne fut terminée que sous Charles VIII, par une transaction entre la veuve de Geoffroy Cœur et le fils d'Antoine de Chabannes, comte de Dammartin. La maison de Bourges fut vendue, en 1051, par le petit-fils du grand argentier, et passa successivement dans les familles Turpin, Chambellan et de l’Aubépine, pour arriver à Colbert qui la vendit, en 1682, à la ville de Bourges. Celle-ci y logea son conseil municipal, lequel a depuis fait place à la cour royale, au tribunal de première instance et à la justice de paix.

Après le siège de la Charité, l’héroïque Jeanne d’Arc était revenue à Bourges : le 29 décembre 1429, le roi lui donna, au château de Mehung, des lettres de noblesse, lesquelles furent enregistrées à la cour des comptes, le 16 janvier 1430. La Pucelle habitait à Bourges la maison de l'ancien receveur général des finances, où accouraient chaque jour des femmes qui la priaient de toucher leurs croix, leurs chapelets, etc. : Touchez-les à ma place, disait alors Jeanne à l'épouse du feu receveur général. ils seront aussi bons. On sait qu'en mémoire de son martyre, l'église de Bourges institua, à perpétuité, la procession de la Pucelle. Le 15 mai 1436, le roi, étant dans cette ville, prescrivit par une ordonnance, la clôture des cours anglaises, et bientôt furent établies à Paris toutes les grandes juridictions qui avaient si longtemps siégé dans la capitale du Berry. Le 5 mai de l'année suivante, Charles VII accorda aux habitants le privilège d'acquérir et de posséder des biens nobles, sans pouvoir être jamais assujettis à payer aux officiers royaux aucune finance ni indemnité. En juin 1436, Louis, dauphin de France, avait épousé à Bourges la fille aînée de Jacques Stuart, roi d’Écosse. Quatre ans après, trompant la surveillance active du comte de La Marche, il ralliait à sa cause tous les mécontents faits par l’ordonnance du licenciement des compagnies, et livrait ainsi à une rude guerre les habitants du Berry et du chef- lieu de la province. De son côté, le roi s'était attiré, par cette même ordonnance, l’amour des communes : aussi ses succès furent ils décisifs et rapides. Il avait, d'ailleurs, le 6 septembre 1440, et à Bourges même, pris à sa solde les routiers de Guyenne et de Languedoc, commandés par Jean de Salazar. Plus d'une fois, durant cette période, les Anglais pénétrèrent, non-seulement dans le Berry, mais encore aux portes de Bourges : ils continuèrent depuis à guerroyer dans le pays, quoique loin de la ville. A la suite de la paix, conclue à Cusset, le roi revint dans la capitale du Berry.

En février 1432, il y eut à Bourges une assemblée des évêques français qui prirent fait et cause pour le concile de Bâle, contre le pape lui-même ; en 1438, le roi y convoqua une autre assemblée, afin de porter remède aux maux dont gémissait l'Église : le pape et le concile y envoyèrent leurs députés. Les premières conférences eurent lieu dans la salle capitulaire de la Sainte-Chapelle ; à partir du 5 juin seulement, les séances, présidées par le roi, furent publiques, et l'archevêque de Bourges s’assit à sa droite, malgré les vives réclamations de l'archevêque de Bordeaux. Les orateurs du pape et du concile furent entendus. Le 7 juillet, le roi arrêta, en conseil, la pragmatique sanction, grande charte des libertés de l’Église gallicane ; enfin, le Ier septembre 1440, dans une troisième assemblée, Martin Gouge, évêque de Clermont, réfuta les attaques des orateurs du pape et du concile contre cette œuvre de sagesse et d’indépendance que le roi ordonna d’observer dans tout le royaume.

Accablé de chagrins cuisants par l’incessante hostilité de son fils, Charles VII ne quitta presque plus le Berry. Au mois d’août 1455, Pierre II, duc de Bretagne, vint le visiter à Bourges, ainsi que dans son château de Bois-sire-Amé, où vivent encore de nombreux souvenirs de la belle Agnès. Le 14 août 1459, le Dauphin eut la hardiesse de signifier, par lettres closes, aux habitants de Bourges, qu’il venait de lui naître un fils ; procédé si étrange et si suspect que ceux-ci le portèrent immédiatement à la connaissance du roi. En septembre 1460, le duc de Bretagne, François II, envoya plusieurs officiers de sa maison pour assister à des joutes que le roi faisait exécuter à Bourges. Ce fut dans le palais royal de cette ville que, le 10 janvier 1461, le vieux roi, environné de son conseil, répondit au héraut d’armes du Dauphin ces paroles nobles et déchirantes, si pleines de tristesse et d’amertume, que rapporte Duclos dans son Histoire de Louis XI. En 1458, la peste força Charles VII à s’éloigner de Bourges. Au mois de juillet 1461, le bruit se répandit qu’on voulait empoisonner le roi, retiré alors à Mehung : aussitôt ce prince prit la résolution de se priver de toute nourriture, et refusa même de se confier à son plus jeune fils, Charles, lequel était toujours auprès de lui et goûtait de tous les plats mis sur la table. Cependant le malheureux roi finit par suivre les conseils de ses physiciens et de ses amis, mais trop tard à ce qu’il paraît, puisqu’il expira le 22 juillet. Nous avons plusieurs monnaies d’argent de Charles VII, frappées à Bourges. A dater de son nom elles n’offrent plus le nom de la ville, mais seulement l’initiale B. Telles sont aussi les monnaies de Charles VIII, de Louis XII et de François Ier.

Dès le mois de novembre 1461, Louis XI reconstitua le duché de Berry en faveur de son frère Charles, âgé de quinze ans, le même qui obtint du roi l’érection de l’Université de Bourges, par lettres patentes données à Mareuil, au mois de décembre 1463. Dans ces lettres il était dit qu’on enseignerait à Bourges le droit divin, canonique et humain, la médecine et les arts. Le pape Paul II, un an après, accorda les bulles nécessaires à l’Université (aux ides de décembre 1464) ; l’inauguration eut lieu solennellement dans l’église cathédrale, le 9 mars 1466, et, le 30 mars 1469, malgré les vives réclamations des autres Universités du royaume, le parlement enregistra les lettres-patentes. Des noms célèbres à juste titre attirèrent, dit-on, à l’Université de Bourges un concours de six mille élèves ; c’est là que le grand Condé et beaucoup de princes allemands vinrent terminer leurs études. Là brillèrent successivement Alciat, dont Erasme disait, comme Cicéron de Mucius Scevola, qu’il était le plus grand jurisconsulte parmi les orateurs et le plus grand orateur parmi les jurisconsultes ; les frères Mercier, de Bourges ; Lecomte ; Baron ; le protestant Duaren, le plus habile légiste après Alciat, et auteur des commentaires sur le Digeste, du traité Pro libertate Ecclesiœ qatlicœ contra romanam defensio Parisiensis curiœ et d’un manuscrit intitulé : Scholœ vespertinœ, possédé par la bibliothèque de Bourgogne à Bruxelles ; Baudouin, dont les commentaires sur les Institutes de Justinien jouissent encore d’une réputation méritée ; Cujas, l’un des professeurs de l’Université de Bourges jusqu’en 1590, époque de sa mort ; Hoffmann, qui, dans sa Franco-Galia, prouva avec autant d'érudition que de philosophie les plus belles thèses politiques sorties plus tard des assemblées politiques de la révolution française, et dont Mably et J.-J. Rousseau ne firent que développer les principes et les théories ; François Ragueau, dont le nom seul est un éloge, etc., etc.

À la fin de 1464, le jeune duc de Berry, se jeta dans la ligue du bien public ; il s'échappa de Poitiers, où était le roi, et alla rejoindre le duc de Bretagne, l'un des chefs du complot. La ville de Bourges, insurgée, refusa de se soumettre, ainsi que l’atteste une lettre de Louis XI, au duc de Nevers, écrite au château de Lignières et en date du 9 mai 1465. Cette guerre désastreuse avait tellement agité la province, que, le 18 avril de la même année, deux marchands de Bourges, Martin le Roy et Martin Aujorant s’adressèrent aux officiers de la chambre des comptes, afin de leur annoncer qu’il leur était impossible de quitter Bourges, où ils avaient à surveiller et défendre eux-mêmes leurs propriétés. Pour la première fois depuis la mort de son père, Louis XI se rendit dans cette ville, vers la fin de 1466, après avoir préalablement exigé le serment de fidélité des communautés. Son entrée fut solennelle : il y eut joutes, grandes réjouissances, nominations nombreuses dans l’ordre de Saint-Michel. Le roi accepta de fort bonne grâce le don que lui firent les habitants. Il était encore à Bourges, dans le mois de janvier, et il n'en partit que dans la première quinzaine de février. Au commencement de 1467, le chapitre de Saint-Étienne se vit forcé de lui prêter deux cents écus d'or ; pour les trouver incontinent, on mit en gage les joyaux de l'église. Peu de temps après le départ du monarque, un incendie horrible dévora encore une fois la capitale du Berry. En 1472, la province eut un nouveau duc : Charlotte de Savoie venait de mettre au monde, à Tours, le duc François, dont la mort (juillet même année) affligea profondément Louis XI. Au mois de juin, des commissaires du roi vinrent demander en son nom, aux clercs et aux séculiers de Bourges, du blé pour ses troupes.

En 1474, Louis XI tendant toujours à la réalisation de son idée favorite, l’unité nationale sous l'autorité du pouvoir royal, avait plus que jamais peut-être besoin d'argent. Depuis la mort de Charles VII, les taxes avaient été triplées ; car il achetait les consciences, non pas ce qu’elles valaient, mais ce qu'on voulait les vendre. Au mois d'avril, le mécontentement général éclata. La trêve avec le duc de Bourgogne allait cesser, à la fin du mois suivant. Les foulons, les vignerons, les boulangers, etc., indignés de la taxe nouvelle du barrage, ou autrement dit des subsides des fossés de la ville, se révoltèrent contre celui qui était chargé de la percevoir. Enfin l’émeute grossit et beaucoup de gens du roi furent tués ou mutilés. Le lendemain, 23 avril, le substitut du procureur du roi voulut informer ; mais il fut violemment maltraité, blessé même, et force resta à l'émeute. Le 26, les officiers royaux et les nobles se réunirent dans l’enceinte du Cloître. Les uns penchaient pour la douceur, les autres pour la sévérité. Ces derniers virent leur opinion prévaloir. Le roi fut instruit de l'événement à Senlis et trouva les mesures prises beaucoup trop douces. Cette émeute toute particulière lui parut une véritable insurrection contre son autorité. Se rappelant que Bourges avait épousé le parti du duc de Guyenne, il craignit que ce parti n'y fût pas entièrement éteint. Dès le 29, il nomma des commissaires investis de pouvoirs immenses, pour instrumenter et rendre prompte et sévère justice sans appel. Ceux-ci se rendirent à Bourges, accompagnés de troupes suffisantes, et en arrivant s’emparèrent de la Grosse-Tour, dont ils donnèrent le commandement à Olivier Guérin. Le 19 mai, on pendit un grand nombre d'habitants devant leurs portes, où leurs cadavres restèrent exposés durant toute une journée ; les libertés municipales furent immédiatement anéanties, et le maire et ses douze échevins installés, le 8 juin, par les commissaires royaux qui partirent enfin vers le milieu de ce mois d’octobre 1474 à janvier 1475, la peste sévit encore une fois à Bourges ; puis elle disparut et revint au mois d’août. Cette année-là, Louis XI demanda dix mille livres tournois pour réparation des excès commis pendant la guerre du bien public, non compris les deux mille livres employées à l’information de ces excès si sévèrement punis. Des députés furent envoyés au roi pour lui prouver l’innocence de l’Église et de ses adhérents, mais la ville paya. Cette même année aussi, Antoine de Luxembourg fut emprisonné dans la Grosse-Tour, où avait été renfermé déjà le cardinal La Balue. En février 1476, le roi se rendit à Bourges. Deux ans après, la réforme des gabelles produisit de nouvelles émeutes. En 1484, Charles VIII qui, pendant sa minorité, parcourut, comme on sait, une grande partie de ses états, escorté de six pièces d’artillerie, vint dans cet équipage de Beaugency à Orléans, et d’Amboise à Mehung, tandis que les États généraux étaient convoqués à Tours. Les députés de Bourges, à ces mêmes États se plaignirent que les gages du capitaine de la Grosse-Tour fussent aussi élevés que ceux du garde de la bastille. Ils demandèrent, en outre, et obtinrent, pour cinq années, la translation des foires de Lyon à Bourges : deux foires de cette ville, celle de la quinzaine de Pâques et celle de la mi-août, y furent transférées, en effet, par le roi, en 1485 ; mais elles n’y subsistèrent que deux années à cause d’un grand incendie arrivé le jour de la Madeleine, dans le temps des vêpres (22 juillet 1487). Charles VIII, en 1485, vint à Bourges avec une armée, pour mettre un terme aux excursions que ne cessait de faire en Berry le sire de Bourbon, ligué avec le duc d’Orléans contre la régente : il n’y eut point d’engagement dans le cours de cette année, et il retourna à Bourges le 12 octobre. Le 2 novembre, il signa un traité de paix avec le duc de Bretagne ; son séjour se prolongea jusqu’au 11 : il partit ensuite pour Dun-le-Roi.

Nous intercalerons ici un fait d’un ordre secondaire. Au mois de mai 1486, un Lyonnais nommé Jean de Cucharmois, marchand littérateur, fonda à Bourges l’ordre de Notre-Dame de la Table ronde, dont il fut tout naturellement élu roi, c’est-à dire directeur ; en 1488, on réforma les statuts, et le titre de gouverneur de l’ordre remplaça celui de roi. Le lieu des assemblées était en l’église de Notre-Dame de Sales ou des Carmes : on y voyait, peu d’années avant la Révolution, un vitrail représentant les armes des chevaliers. Cet ordre, dont on connaît presque tous les membres, ainsi que les armoiries, existait encore en 1545. Un incendie terrible anéantit, en 1487, plus de la moitié de la ville. Les magistrats achetèrent, pour y bâtir une Maison-Commune, l’emplacement de l’hôtel des anciens comtes : c’était tout ce qui en restait, puisque l’incendie n’avait respecté qu’une tourelle et une cheminée. La Maison-Commune conserva, à cause de ces débris même, qui subsistent encore au milieu de constructions d’époques différentes, le nom de la Comtale ou la Comtau.
Plusieurs incendies avaient déjà compromis l’existence de Bourges à diverses époques : en 584, 1252, 1259, 1353, 1407, 1463 et 1468.

 

Le 13 avril 1488, la régente fit sa première entrée solennelle à Bourges ; la ville lui offrit un magnifique cabaret dont le prix dépassait treize cents livres. Au mois de juillet de l’année suivante, le duc d’Orléans, fait prisonnier à la bataille de Saint-Aubin du Cormier, fut emprisonné à la Grosse-Tour, par ordre même de la régente. Jehanne de France, qu’il avait épousée en 1476, et qui l’aimait passionnément, le visita plusieurs fois dans sa prison. Chaque jour elle voyait ou la régente ou le roi, et l’objet unique de ses continuelles sollicitations était la liberté de son mari. Enfin, au mois de mai 1491, le roi étant parti dans la soirée de Plessis-lez-Tours, sous prétexte d’aller à la chasse, manda monseigneur d’Aubigny à la Grosse-Tour de Bourges, pour y aller chercher le duc : celui-ci vint le trouver au pont de Barangton ; puis tous deux retournèrent à Bourges, où ils partagèrent la même table, et dès le lendemain ils repartirent ensemble pour la ville de Tours. A la fin de l’année 1493, Charles VIII se rendit encore une fois à Bourges, où la régente le précéda de quelques jours seulement. Dès le 8 janvier, une assemblée municipale avait décidé qu’on irait au-devant d’elle et qu’on lui offrirait mille livres tournois, non compris ce que l’on dépenserait pour les fêtes solennelles de son entrée et les mystères représentés par les rues, etc. Vers la fin de mars, le roi rejoignit la régente ; il visita les restes immenses de l’amphithéâtre, dont il ne reste plus même aujourd’hui de vestiges. A la fin de 1495, après les brillantes et désastreuses campagnes d’Italie, il vint de nouveau dans la capitale du Berry, où, pour lui plaire, on joua un joyeux mystère. Enfin, au mois de mars 1498, il y fit un dernier voyage ; car il mourut à Amboise, le 7 du mois suivant.

Le traité de Langeais obligeait le successeur de Charles VIII à épouser sa veuve, afin de conserver la Bretagne à la couronne : Louis XII, d’après l’avis de ses conseillers, résolut, pour obéir aux intérêts de l’État, d’avoir recours au divorce. La dissolution de son mariage fut prononcée, le 17 décembre 1498, dans l’église d’Amboise, et, le 7 janvier 1499, le roi convola à de secondes noces. Par lettres-patentes du 26 décembre 1498, Louis XII avait abandonné à sa veuve le pays et duché de Berry : elle fut mise en possession de ce vaste apanage, dès le 16 février. La nouvelle duchesse de Berry alla s’enfermer aussitôt dans le palais royal de Bourges ; le 19, elle prêta foi et hommage au roi, entre les mains du maréchal de Gié. Jeanne de Valois n’a laissé dans le Berry aucuns souvenirs de son gouvernement ; mais sa bonté et ses vertus y sont encore populaires. Elle soignait les malheureux et les malades, ramenait les filles égarées et les femmes perdues. Elle coopéra de la manière la plus efficace à la réforme des religieuses de Saint-Laurent, fonda l’ordre des Annonciades et bâtit le collège Sainte-Marie, aujourd’hui le collège Royal, qu’elle dota de dix bourses pour les enfants pauvres. Son immense charité la fit bénir de tous les habitants, durant la peste qui désola la ville, en 1499 et 1500. A sa mort (4 février 1505), on eut soin de prendre l’empreinte de sa figure, précieuse relique conservée dans le trésor de la cathédrale, et d’après laquelle l’auteur de cette notice a fait frapper une médaille. La mémoire de la duchesse Jeanne est encore, à Bourges, l’objet d'un culte public, quoiqu’elle n’ait été que béatifiée. Les dépouilles mortelles de cette sainte femme furent profanées par les protestants, en 1562.
Le corps de Jeanne était à peine déposé dans le sépulcre, que le roi arriva à Bourges (22 mars) ; la reine l’y rejoignit, le lendemain, c’est-à-dire vingt-huit jours juste après la mort de celle qu’elle avait arrachée du trône. La ville fit à Louis XII une réception magnifique et lui offrit une médaille en or, pesant huit ou neuf marcs : on ignore complètement ce qu’elle est devenue, à moins que ce ne soit celle qu’on peut voir au cabinet des médailles de la Bibliothèque du roi. La reine reçut, de son côté, une riche salière, en or massif, du poids de quatre marcs et cinq gros. On prétend que, durant son séjour à Bourges, Louis XII descendit secrètement dans le caveau de la duchesse Jeanne. La même année, il donna pour successeur au vénérable archevêque, Guillaume de Cambrai, décédé le 30 août, son fils naturel, le jeune Michel de Bucy, alors élève à l’Université d’Orléans ; celui-ci fit son entrée solennelle à Bourges, le 22 février 1507, non comme archevêque, mais seulement en qualité d’administrateur du diocèse. En février et mars 1508, le roi était encore dans la capitale du Berry, Il y régla, le 16 de ce dernier mois, les dépenses de Michel de Bucy. L’année suivante, il se rendit encore à Bourges, et jura dans la Sainte-Chapelle le traité connu sous le nom de Ligue de Cambrai, signé le 10 novembre 1508, par son ministre le cardinal d’Amboise.

Au mois de mars 1515, le nouveau roi, François Ier, étant à Paris, assura, par un traité, au prince qui devait être un jour Charles-Quint, le duché de Berry, dans le cas où il épouserait sa belle-sœur, seconde fille de Louis XII et d’Anne de Bretagne : ce traité, fort heureusement, ne fut jamais exécuté. Dès le 15 juillet, le roi se trouvait à Bourges, et il y touchait les écrouelles dans la Sainte-Chapelle. Son séjour fut, d’ailleurs, honoré d’une représentation magnifique du Mystère de la Passion ; elle eut lieu dans le fossé des Arènes. Le 11 octobre 1516, François Ier céda le duché de Berry à Marguerite d’Angoulême, sa sœur, déjà duchesse d’Orléans et d’Alençon. C’est à Marguerite que le Berry doit la rédaction de sa coutume. Cette princesse resta en possession de son apanage, même après son union avec le roi de Navarre, ce qui fut cause qu’elle n’habita presque point la province. En 1517 fut importé d’Espagne à Bourges, où s’opéra son acclimatement, l’oiseau délicat que Franklin regrettait plus tard de ne point voir figurer sur les drapeaux des États-Unis, en place de l’aigle chauve ; le précieux volatile prit de là son vol pour se répandre dans toute la France, et passer la Manche, en 1524.
Parmi les monuments les plus élégants élevés en France, sous le règne de François Ier, il n’en est peut-être pas un, même à Rouen, qui soit supérieur à celui que le peuple nomme, à Bourges, la Maison de Louis XI. La façade, percée de deux portes, est très modeste, quoique décorée d’arabesques. Dans,la cour surtout, dont la moitié est en terrasse, sont prodigués les ornements les plus délicats ; aux deux angles opposés de cette moitié de la cour, s’élève une tourelle : celle du côté de la rue contient un escalier en hélice très remarquable, par lequel on monte au premier étage, et qui aboutit à un belvéder extrêmement gracieux et d'une légèreté inouïe. Au-dessus de la porte d’entrée se trouve un buste de Priant, environné d’une inscription gothique, dont la date est de 1518. L’autre tourelle, construite en encorbellement, s’appuie sur une figure bizarre représentant peut-être bien le dieu Momus ; au rez-de-chaussée on voit une somptueuse cheminée dont les arabesques, pleines de délicatesse et d’un fini également irréprochable, ne le cèdent en rien à ceux des deux portes ouvertes sur les deux cours. Sur le manteau sont sculptés, à gauche le porc-épic de Louis XII, à droite la salamandre de François Ier. Mais la partie la plus gracieuse et la plus achevée de cet édifice est l’oratoire, véritable bijou monumental. Son plafond se compose de trois grandes dalles divisées en trente caissons contenants chacun des bas-reliefs-rébus, si admirablement exécutés qu’ils feraient désirer une boîte de diamant pour la conservation de ce chef-d’œuvre, comme Mansard en voulait une en or pour garantir la Maison-Carrée de Nîmes. La maison de Louis XI n’est certainement pas antérieure à l’année 1526, quoique le buste de Priam dont nous avons parlé porte le millésime de 1518. On n’ignore point qu’à cette époque il était d’usage d’anti-dater les monuments, par un amour exagéré de l’antiquité, ainsi qu’on en a la preuve dans l’hôtel de la chambre des comptes bâti sous Louis XII, et qui porte néanmoins la date de 1424. Ce buste de Priam (racheté) ne serait-il point une allusion à la captivité et à la rançon de François Ier ; une flatterie artistique en l’honneur du restaurateur des lettres et des études classiques, que le roi chevalier protégea, en effet, après son retour de Madrid ? En 1520, François Ier accorda à Bourges, pour sept années, la somme de sept mille cent soixante-deux livres, afin de rendre sa rivière navigable ; la ville, reconnaissante de cette générosité, fit hommage au roi d’une magnifique médaille en or, représentant d’un côté les moutons du Berry, de l’autre la salamandre de François Ier au milieu des flammes : cette médaille fait partie aujourd’hui de la collection du cabinet du roi.

Le protestantisme eut, de bonne heure, des prosélytes à Bourges. Dès l’année 1525, l’aumônier de la duchesse de Berry, auquel l’archevêque avait défendu de prêcher, deux années auparavant, abjura le catholicisme et fit ouvertement l’éloge des doctrines de Luther. En 1528, les religionnaires professèrent publiquement leur foi dans la grande salle du palais royal. C’est alors qu’un concile provincial ayant été réuni par le cardinal de Tournon, de nombreuses mesures de répression furent arrêtées contre les opinions nouvelles (21 mars). L’Université tout entière adopta la réforme : preuve irrécusable de l’influence extraordinaire que peut exercer la jeunesse sur l’âge mûr, l’enthousiasme sur le savoir et la réflexion ; car ce fut précisément cette portion d’étudiants qu’on nommait la nation allemande, qui importa le luthéranisme au centre de la France. Les élèves de cette nation séduisirent d’abord leurs camarades, dont l’exemple réagit sur les professeurs et leur fit prêter l’appui de leur autorité aux doctrines anticatholiques. L’ardeur des convictions devint telle, enfin, chez ces hommes graves eux-mêmes, que la satyre de Mélanchton contre la Sorbonne arracha des larmes de plaisir au Milanais Alciat, l’une des plus grandes lumières de l’Université de Bourges. La contagion se propageait : Pierre Rebuffy, M.-A. Caimo, Antonio de Médicis, Melchior Wolmaer, en étaient pénétrés ; elle s’étendait jusque dans les cloîtres, dans l’abbaye de Saint-Ambroise, alors dirigée par un lecteur du roi, au point que ses moines osèrent prêcher l'hérésie. En 1531, le mouvement religieux commencé par l’Université de Bourges, attira dans cette ville un élève de Noyon âgé de vingt-deux ans et déjà curé de Pont-l’Évêque : les maîtres de prédilection de Jean Chauvin (il n’avait pas encore pris le nom de Calvin), furent le jurisconsulte Alciat et l’helléniste Walmaer ; c’est sur ce jeune homme doué d’une intelligence si haute et si puissante, que les professeurs luthériens fondèrent leurs plus grandes espérances. Jean Chauvin se lia d’une vive amitié avec Théodore de Bèze, un de ses condisciples. En 1535, parut le fameux livre de l’Institution chrétienne, conçu et en partie exécuté à Bourges. La capitale du Berry devint, dès lors, le foyer des révolutions religieuses du XVIe siècle. Le nombre des sectaires s’accrut, de jour en jour, grâce à la dévorante activité de cet esprit infatigable qui allait partout répandant ses doctrines, et principalement à Bourges, où l’on voit encore aujourd’hui la chaire en pierre du couvent des Augustins, du haut de laquelle il a si souvent tonné. Vers la fin de 1532, Chauvin quitta l’Université ; mais sa parole avait été féconde : bientôt le clergé régulier, la faculté de théologie elle-même, donnèrent l’exemple de l’apostasie. Aussi, dès la fin du règne de François Ier, les bûchers furent-ils dressés à Bourges. Un jeune étudiant y périt d’abord dans les flammes ; puis eut lieu la dégradation, comme hérétique, de Jean Michel, docteur en théologie, ancien bénédictin, prédicateur célèbre et savant hébraïsant (24 octobre 1539), et ensuite son supplice, en face de la Grosse-Tour, la veille de Noël de la même année.

En 1524, François Ier visitant la province de Berry était venu coucher, au mois de juillet, dans le château de Bois-sire-Amé ; le 23, Marguerite sa sœur, avec la reine-mère, duchesse d’Angoulême, et le Dauphin, firent leur entrée solennelle à Bourges. On joua des mystères en leur présence, et le roi rejoignit les princes, auxquels les magistrats offrirent de somptueux cadeaux. A peine la duchesse Marguerite eut-elle quitté Bourges, que le dernier prince d’Orange, Philibert, de la maison de Châlons, dévoué à Charles-Quint, et vaincu dans un combat naval par le vice-amiral de Lafayette et André Doria, fut enfermé dans la Grosse-Tour, sous la garde de Gabrielle de La Châtre (19 août). « Je vous supplie, madame, écrivait-il à la princesse d’Orange, sa mère, de bien sollyciter ma deslivrance, car je suis dans un lieu assez fascheux, etc. » Il n’en sortit, néanmoins, qu’après avoir payé une rançon de quarante mille écus. En 1527, un concile provincial fut de nouveau convoqué par le cardinal de Tournon dans la capitale du Berry. Au commencement de janvier 1528, le roi de Navarre, Henri d’Albret, se rendit dans cette ville, afin de contraindre la noblesse récalcitrante à fournir, pour la rançon du roi, le don gratuit qu’elle avait refusé. La peste qui, depuis la première année du XVIe siècle, s’y était montrée six fois, y sévit encore cruellement en 1532 (La peste avait ravagé Bourges dans les années 1516,1517, 1522, 1524, 1526 et 1531.). Au mois de septembre de l’année suivante, les habitants de Bourges virent dans leurs murs Eléonore d’Autriche, nouvelle épouse de François Ier ; elle était accompagnée du Dauphin et du chancelier Duprat. On représenta un mystère à la porte Saint-Sulpice, par laquelle arriva la reine, et de beaux joyaux, ornés de perles et de rubis, fui furent offerts ; le cardinal de Tournon, archevêque de Bourges, qui, peu de temps auparavant, avait béni sa royale union, la reçut à l’entrée de la ville.
Marguerite de Valois avait un penchant secret pour le calvinisme : c’est auprès d’elle, dans la capitale même de son duché de Berry, que se réfugièrent, dès 1534, les savants, chassés de Paris ou des autres villes du royaume, sûrs d’y être bien accueillis et protégés par la duchesse. Parmi eux nous trouvons Jacques Amyot, alors âgé de vingt ans, et plus tard successeur de Wolmaer comme professeur de langue grecque : il resta douze ans à Bourges. Deux années après eut lieu, dans la fosse des Arènes, une représentation du Mystère des Saints Actes des apôtres, par Arnoult et Simon Greban ; elle dura plus de quarante jours : cinq cents personnes y figurèrent comme acteurs, et plus de trente mille spectateurs l’applaudirent. Le 19 avril 1539 à sept heures du matin, se fit l’ouverture de l’Université, par le célèbre Alciat, auquel furent assignées mille livres d’honoraires. Le 4 octobre, les trois ordres se réunirent dans la grande salle du Palais pour rédiger les coutumes du Berry. En 1542, le chancelier Poyet, ardent persécuteur des huguenots, fut enfermé dans la Grosse-Tour, par suite des ressentiments de la reine de Navarre et de la duchesse d’Étampes. Vers cette même époque, la fleur de la poésie n’avait point encore disparu de la terre du Berry ; comme aux beaux jours de la chevalerie, elle y brillait encore d’une douce clarté. Quelle province ne se glorifierait, en effet, d’avoir donné le jour au banni de Liesse, ce fabuliste élégant, auquel La Fontaine emprunta plus d’un sujet ! Le Berry ne doit-il pas s’enorgueillir d’avoir vu naître le poète qui, le premier, eut l’idée des Animaux malades de la peste, petit chef-d’œuvre où l’on admire un trait que tout le génie du grand fablier n’a même pas senti ? Dans François Habert, l’âne s’accuse, non pas précisément d’avoir tondu l’herbe d’un pré, ce qui était on ne peut plus naturel, mais, ce qui l’est beaucoup moins, d’avoir mangé la paille que son maître avait mise dans ses souliers ; le loup s’écrie alors :

Comment ! la paille au soulier demeurée
De son seigneur, manger à belles dents !
Et si le pied eût été là-dedans,
La tendre chair eût été dévorée !

Avant d’aborder le récit des luttes religieuses dont la capitale du Berry fut le théâtre, qu’on nous permette de grouper quelques faits assez curieux pour mériter une place dans cette notice. En 1545, Georges d’Amboise reçut à Bourges le chapeau de cardinal, dans l’église de Saint-Étienne, des mains du cardinal de Valence, fils du pape Alexandre VI. Deux ans après, la rivière d’Auron fut enfin rendue navigable, mais elle ne porta bateau que sous Henri II (1553) ; la Ligue et la Fronde ne permirent même de l’utiliser que beaucoup plus tard. Le dernier jour de septembre 1555, le plus grand des jurisconsultes modernes, celui qui eut l’honneur de régler Pothier dans la codification des lois françaises, Cujas arriva à Bourges, en qualité de professeur ; les maîtres de l’Université l’accueillirent aussi mal que les élèves, et il fut obligé de quitter son poste. A la fin d’août 1586, il revint à Bourges pour la troisième fois ; le 30 juillet, il avait acheté, au prix de dix-huit cents écus d’or au soleil, le bel hôtel Salvi, construit, au XVIe siècle, par Guillaume Pelvoisin, et qui sert actuellement de caserne à la gendarmerie. Cujas refusa noblement d'écrire en faveur du cardinal de Lorraine contre Henri IV ; il mourut, le 4 octobre 1590, âgé de soixante-huit ans, et pas une pierre ne fut posée sur ses dépouilles mortelles, dans cette chapelle de Saint-Denys, à Saint-Pierre-le-Gaillard, que le peuple désigne encore sous le nom de chapelle de Cujas. Avec cet illustre professeur périt l'éclat de l’Université dont il était la gloire : en 1647 seulement, on mit dans cette chapelle son portrait, placé depuis à la mairie, dans la Salle des hommes illustres. Le 25 janvier suivant, sa fille, Suzanne, expirait à l'hôpital. En 1556, mourut l'un des meilleurs peintres sur verre de cette époque, Jean Lescuyer, dont le dessin offre une pureté trop souvent négligée après lui, et auquel plusieurs des quarante églises de Bourges durent des verrières qui existent encore en partie. Cette même année, la ville frappa deux médailles en l'honneur d’Henri II et de Diane de Poitiers.

Les troubles causés par la différence de religion commencèrent à Bourges dès 1561. Le 11 janvier, les protestants firent leur cène, en la salle du palais royal, et, le 17 août, ils excitèrent une grande sédition. En 1562, étant commandés par le comte de Montgommery, le même qui avait tué Henri II dans un tournoi, ils s'emparèrent de la ville, et s'y livrèrent à toutes sortes d'excès et de crimes (22 mai). Les statues, les tableaux, etc., tout fut détruit ou mutilé. Dans leur fureur sacrilège ils saccagèrent ou profanèrent les magnifiques tombeaux de Saint- Ursin, du duc Jean, et de saint Guillaume, prédicateur de la première croisade. Le pillage enfin fut tel, que Montgommery eut, pour sa part seulement, six cent cinquante et un marcs d'or ou d'argent, provenant des reliquaires des couvents et des églises qu'il avait eu le temps de dévaster pendant trois mois entiers. Trois ou quatre de ces bandits, appartenant à la compagnie du capitaine Miregrand, et guidés par Jacob Trouillet, peigneur de laine, descendirent dans le caveau de la maison-mère des Annonciades. Là, ils ouvrirent le cercueil en plomb de la sainte fille de Louis XI, virent son corps intact, crurent l'entendre se plaindre et le percèrent de coups de dague ; l’ayant ensuite arraché du tombeau, au milieu de cris et de chants obscènes, ils le réunirent aux dépouilles mortelles de saint Guillaume, et soumirent ces deux vénérables reliques, liées ensemble, au mariage du feu, devant l’église de Montermoyen. Chassés de la ville, les calvinistes portèrent le désordre, la ruine et la mort dans le reste de la province ; ils se rendirent encore une fois maîtres de Bourges, en 1565 ; et y renouvelèrent ces horribles scènes de meurtre et de pillage. Dans l’intervalle, Charles IX ayant fait un voyage en Berry (1563), était venu à Bourges, au mois de septembre, et avait logé à l’hôtel de ville ; les monceaux de ruines qu’il eut sous les yeux excitèrent son indignation : ce spectacle n’était pas fait pour le réconcilier avec les protestants.
Le 18 mai 1568, l'archevêque et deux cent trente-six habitants s'engagèrent, dans une convention tardive, à n’avoir qu’une seule et même volonté, dans le but de défendre et de maintenir la religion catholique, apostolique et romaine : l’assemblée se tint dans la grande salle de l'archevêché. Cette même année, on répara la brèche par laquelle les catholiques s’étaient introduits dans la ville et en avaient chassé les protestants. A la fin du mois d’août 1572, un illustre professeur de l'Université, le même qui, dans son Franco-Gallia, prouva, avec autant de philosophie que l'érudition, les plus belles thèses politiques, auxquelles nos assemblées révolutionnaires devaient, deux siècles plus tard, donner la vie. Hottman, adoptant les idées nouvelles, quitta Bourges pour la seconde fois, dès qu'il apprit que l’amiral de Coligny avait été blessé par Maurevert. Il fut suivi par son collègue Donneau, homme, comme lui, d’un mérite supérieur, et refusa obstinément, quoi qu'on pût faire, de rester ou de revenir en France. Tous deux avaient été bien inspirés ; car, peu de temps après leur départ, le 24 août, jour de la Saint-Barthélemy, le maire et les échevins firent garder les portes. La veille, pendant la nuit, plusieurs gens de néant s'étaient assemblés et avaient pris les armes, sous les ordres d’un vinaigrier, d’un fourbisseur, d'un cordonnier, et d’un boucher, nommé Thibaut. Ils avaient fait sonner le tocsin, et, se séparant ensuite en plusieurs bandes, avaient forcé et pillé les boutiques et les maisons. Les assassinats furent nombreux, nonobstant les rançons ; le maire et les échevins, ne recevant aucune nouvelle de Charles IX, arrêtèrent enfin ce carnage épouvantable. Les massacres se renouvelèrent encore pourtant, les 8, 9 et 10 septembre, malgré la défense expresse du roi ; le 11, ces misérables coururent aux prisons qui étaient pleines de huguenots, et les égorgèrent impitoyablement. Les cadavres des victimes furent jetés dans les fossés de la ville, du côté de Bourbounoux. La rage des assassins était tellement aveugle, qu'ils tuèrent jusqu'à un malheureux prêtre détenu dans les prisons de l’archevêché. Ces meurtres furent la source des richesses de plus d’une famille. D’Argenson dit, dans ses Mélanges, qu’après Paris, Bourges fut la ville où périrent le plus de huguenots pendant la nuit de la Saint-Barthélemy.
Cette même année, profitant de l’effervescence des catholiques et de la tereur des protestants, le jésuite Jean Nicquet se fit céder, pour les religieux de son ordre, le collège de Sainte-Marie : marché approuvé par le pape, dans des bulles qui furent expédiées le 10 juillet 1594. Dès 1575, les jésuites réussirent également à pénétrer dans la faculté des arts de l'Université, et, en 1627, ils s’emparèrent de la faculté de théologie qu’ils conservèrent jusqu'à l'arrêt du parlement de 1762. Bourges, en 1575, frappa une médaille, en l’honneur du frère de Henri III, François d’Alençon, qui, le 15 juin de l'année suivante, fit son entrée solennelle à Bourges, en qualité de duc de Berry. Dans le cours de l’année 1583, cette ville fut encore une fois décimée par la peste, et plus de cinq mille personnes succombèrent à l'intensité du fléau. Au mois de septembre 1584, l’archevêque tint un concile provincial, où furent faits des règlements sur la discipline et sur la foi. Trois ans après, le samedi 14 novembre, un joueur de luth, frère Jacques Alberti, dit le moine de la Tour, et Olivier Colas, sergent royal, convaincus d’avoir comploté de livrer la ville et la Grosse-Tour au roi de Navarre, furent pendus et étranglés, par sentence du lieutenant-criminel, et l’on exposa leurs têtes devant cette prison. La bulle d’excommunication fulminée contre Henri IV ayant été publiée à Bourges, en 1588, le jeune duc de Guise y fut proclamé roi. Ce fut l’archevêque de cette ville, Renaud de Beaune, grand aumônier de France, qui reçut, à Saint-Denis, l’abjuration de Henri IV, et lui donna l’absolution. Cette même année, les royalistes firent le siège de la Grosse-Tour, laquelle était encore au pouvoir de la Ligue ; mais ce ne fut qu’en 1594 que le seigneur de La Châtre, gouverneur de la province, et ligueur forcené, reconnut enfin l’autorité du roi et lui remit la ville, avec cette forteresse. En 1596, les protestants se virent une seconde fois maîtres de Bourges ; le maréchal de Montigny la leur reprit, l’année suivante.

Bourges le 13 août 1635 © Gallica / BNF  - gravure restaurée numériquement par © Norbert Pousseur
Bourges le 13 août 1635
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Bourges en 1635 - original de © Gallica / BNF  - gravure restaurée numériquement par © Norbert Pousseur, original de la © Gallica / BNF  - gravure restaurée numériquement par © Norbert Pousseur
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La fin du règne de Henri IV ne nous fournit aucun grand événement relatif à l’histoire particulière de la capitale du Berry ; les règnes de Louis XIII, de Louis XIV et de Louis XV, ne marquent non plus, dans ses annales, que par quelques faits secondaires dont nous allons indiquer les principaux sommairement. En 1614, le bailliage de Bourges se plaignit au roi de ce que la plupart des habitants de cette ville, ayant des prétentions à la noblesse, se refusaient de concourir au paiement de l'impôt ; la cour ne répondit à d'aussi justes doléances qu’en vendant encore des lettres d'anoblissement. En 1626, eut lieu, dans l'église de Saint-Étienne, le baptême du duc d'Enghien, fils du prince de Condé, gouverneur de la province. Le duc fut tenu sur les fonts par monseigneur de Montmorency, pour le roi, et par madame la princesse pour la reine-mère ; il reçut le nom de Louis (5 juin). Dix ou douze ans après, la peste désola deux fois encore la ville. Pendant la régence d'Anne d’Autriche, les habitants ne se laissèrent point séduire par le prince de Condé, élève du collège de Bourges. Claude Biet, leur maire, donna des preuves d'un grand courage civil ; il fut emprisonné, d’abord, à la Grosse-Tour, ensuite au château-fort de Montrond. Louis XIV le délivra, en 1651 : ce prince étant venu à Bourges, le 7 octobre, logea à l’hôtel de ville, destitua les échevins et confirma Biet dans ses fonctions. En 1645, dans la nuit du samedi au dimanche, 14 février, les pyramides de la Sainte-Chapelle avaient été abattues par un terrible ouragan ; un effroyable incendie détruisit ce monument, ainsi que le palais royal, le 31 juillet 1693. Les flammes dévorèrent, en 1730, le quartier d'Auron ; leur progrès ne put être arrêté, disent les archives de la ville, que par les religieux de Saint-Fulgent. Au commencement du XVIIIe siècle, le gouvernement, comprenant que le Berry devait ouvrer ses laines, avait établi à Bourges une fabrique de draps fins (1700). Il la concéda à des négociants anglais, auxquels succédèrent, en 1740, des capitalistes français, qui la convertirent en une fabrique d'indiennes, laquelle ne fonctionna pas longtemps, malgré une allocation annuelle de quinze mille francs. L'industrie n'en essaya pas moins de s'acclimater à Bourges, car, en 1764, un négociant présenta à la Société d’agriculture de beaux échantillons de soie filée, obtenus dans cette ville.

En 1778, Louis XVI créa dans la capitale du Berry une administration provinciale modèle, composée de seize membres, qui se réunirent, le 5 octobre, dans la grande salle du palais épiscopal : cette assemblée supprima entièrement la corvée, après l'avoir beaucoup adoucie (1780). Du reste, le même mode de représentation provinciale fut, sur la demande des Notables, momentanément étendu, en 1789, à toute la France.

La Révolution devait avoir de mauvais jours à Bourges : la mort de Louis XVI y déchaîna les passions populaires, et bientôt le terrorisme y déploya toutes ses rigueurs. Parmi les victimes les plus célèbres de cette époque, nous citerons MM. de Cadonet et de Gamaches, le dernier surtout, digne rejeton d'une illustre famille. Le représentant du peuple, La Planche, envoyé en mission dans le Cher, destitua, le 27 septembre 1793, le tribunal du chef-lieu, dont l'action lui semblait trop lente et trop modérée. Maître du club des jacobins, lequel siégeait dans la salle du collège qui sert aujourd’hui de chapelle, il ne tarda point à dominer tous les partis ; il s’empara de tous les pouvoirs et fit reconnaître sa dictature, non-seulement dans ce département, mais encore dans celui du Loiret. On mit le séquestre sur les propriétés ecclésiastiques ; l’église Saint-Étienne fut dépouillée de ses ornements et convertie en temple de la Raison. « J’ai mis partout la Terreur à l’ordre du jour, » disait-il à la Convention, dans sa séance du 16 novembre ; « j’ai taxé les riches et les aristocrates, non pas arbitrairement, mais de l’avis du peuple, que j’ai toujours consulté ; j’ai porté de grands coups au fanatisme ; j’ai supprimé toutes les cloches ; j’apporte cinquante-trois mille livres en argent ; avant huit jours, arrivera une guimbarde chargée de vases d’or et d’argent. » Cette même année (1793), Bourges émit des assignats municipaux, et plusieurs autres communes du département suivirent son exemple. L’impression du papier monnaie de cette ville, devenu pour ainsi dire introuvable, fut confiée au sieur Cristo. Ces assignats, dont le plus faible était de cinq sous et le plus fort de cinquante, furent contre-signés par Baudin et Cambon, vice-président du club des jacobins, et par le citoyen Cristo-Planche, sans doute comme monétaire de la commune.
Lorsque les électeurs, conformément à la constitution nouvelle, avaient été invités à nommer par voie d’élection, l'évêque métropolitain du Centre, leur choix s’était porté sur l’abbé Pierre-Anastase Torné. C’était un homme dont les opinions politiques avaient une grande exaltation :

« Je serai assez riche et ma vieillesse sera assez heureuse, » disait-il à la tribune du club des jacobins, dans la séance du 17 novembre 1793, « si elle me laisse la force et la santé nécessaires pour être dans mon pays un des instituteurs des écoles primaires. Je dirai à mes élèves : votre paradis c’est la république : l’état de servitude est l’enfer de l’homme pénétré de sa dignité : les vrais démons sont les tyrans de toute espèce : vos saints sont les martyrs de la révolution : votre catéchisme est la constitution française. Je leur dirai : ce fut sur la montagne de la Convention nationale que s’opéra le grand œuvre de votre rédemption politique : vos bonnes œuvres seront vos vertus républicaines et domestiques : votre récompense sera dans votre conscience et dans l’estime de vos frères : l’opinion publique sera le tribunal suprême où vous serez jugés. Je leur dirai : votre premier code est celui de la nature, le second est celui de la loi. »

L’Empire ne trouva point les habitants du Berry insensibles à sa gloire, non plus qu’à ses revers. Le maréchal duc de Tarente et le brave général Devaux étaient, sous ce rapport, l’expression vivante des opinions de leurs compatriotes. Napoléon le savait et rendait pleinement justice aux Berrichons. Sa chute, l’occupation étrangère, le traité de Paris, blessèrent profondément leur fierté nationale. Les habitants de Bourges accueillirent en frères les héroïques soldats de l’armée de la Loire, qui fut licenciée en grande partie dans le département du Cher. En 1816, la magistrature de cette ville fut en butte aux persécutions du ministère, et la cour royale confirma un très grand nombre d’arrêts rendus par les tribunaux du ressort contre des citoyens convaincus d’avoir tenu des propos séditieux. Ce régime d’arbitraire se prolongea jusqu’en 1819 : on lit, en effet, dans le Journal du Cher du 13 octobre de cette année, que plusieurs habitants de Bourges ont été arrachés à leurs affaires et exilés à deux cents lieues, d’autres impérieusement exclus de la garde nationale. Malgré les dissentiments politiques, l’industrie, encouragée par la paix, avait pris, cependant, quelque extension dans la capitale du Berry. M. Félix Tourangin y établit, en 1817, quatorze métiers à filer, et quatorze à tisser, lesquels mirent en œuvre les laines indigènes, et fabriquèrent annuellement trente mille mètres de drap, que le gouvernement achetait pour la garde royale, au prix de seize francs le mètre. Nous conduirons cette notice jusqu’à 1830, pour dire que la révolution des trois jours fut bien accueillie à Bourges. Le général Canuel, qui, par un dévouement aveugle, s’était exposé à l’irritation du peuple, trouva un asile et des secours chez les proscrits eux-mêmes de la Restauration.

Nous avons déjà parlé de la position topographique de Bourges, de ses principaux monuments, de son industrie et de son commerce. Nous ajouterons, afin de ne négliger aucun détail, qu’il y a dans cette ville des fabriques de drap et de couvertures de laine, des coutelleries, des brasseries, des tanneries ; les habitants spéculent, en outre, sur les grains, le chanvre, les peaux, le salpêtre, les bois et les fruits. Le département du Cher, dont Bourges est le chef-lieu, renferme 279,645 habitants ; la population de l’arrondissement est de 106,345 ; celle de la ville ne s’élève pas à moins de 20,440.

Parmi les personnages remarquables auxquels Bourges a donné le jour, et que nous n’avons point encore mentionnés, nous nommerons ici le professeur à l’école de droit, Jean Mercier, qui a laissé des Emblemata dignes de ceux d’Alciat ; François Pinson et Jean Chenu, tous deux jurisconsultes ; le P. Labbe, l’un des plus laborieux écrivains du XVIIe siècle ; Gabriel de Montriéron, à qui l’on doit un travail estimé sur la coutume du Berry ; Jean Chaumeau, auteur de l’histoire du Berry ; Jean de La Chapelle, l’un des quarante de l’Académie française ; Jacques-Aignan Sigaud de Lafon, savant physicien ; Pierre-Joseph u Orléans, jésuite, historien fécond ; et le célèbre prédicateur Louis Bourdaloue.

 

 


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Zoom sur Bourges en 1566, par Jean Arnouillet, © Gallica / BNF  - gravure restaurée numériquement par © Norbert Pousseur   Zoom sur Bourges en 1566, avec légendes © Gallica / BNF  - gravure restaurée numériquement par © Norbert Pousseur

  Zoom sur Bourges en 1535 - gravure reproduite et restaurée numériquement par © Norbert Pousseur 

Zoom sur l'Hôtel de Ville de Bourges, ex maison de Jacques Coeur, vers 1855 - gravure reproduite et restaurée numériquement par © Norbert Pousseur 

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