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Les villes à travers les documents anciens

Page de garde de La Normandie de William Duckett

Granville en Normandie vers 1860

 

Vue de Granville vers 1860 par Ludwig Robock - gravure de Bouquet, reprroduite puis restaurée numériquement par © Norbert Pousseur
Granville vers 1860, par Ludwig Robock

 

Gravure ci-dessus extraite de l'ouvrage "La Normandie" de William Duckett - édition 1866 - ainsi que le court texte ci-dessous

Granville, port de mer, chef-lieu de canton du département de la Manche, à 25 kilomètres Nord-Ouest d’Avranches, dont nous avons eu beaucoup à parler dans notre excursion aux îles Normandes Jersey, Guernesey, etc., est bâti à l’embouchure du Boscq, sur un rocher qui s’avance dans la Manche. Sa population, qui s’accroît rapidement, a atteint aujourd’hui le chiffre de 14,000 habitants. Cette ville a un tribunal et une chambre de Commerce, une école impériale d’hydrographie, un bureau des douanes, un entrepôt réel, un entrepôt des sels, un établissement de bains de mer, des eaux minérales. C’est une place forte ; son port est commode et sûr, et peut recevoir 90 navires; mais il a peu de profondeur et assèche à toutes les marées; on y arme pour la pêche de la baleine dans les mers du Nord, à la baie de Baffin, dans les mers du Sud; et pour celle de la morue sur les bancs et les côtes de Terre-Neuve. Il s’y fait aussi quelques armements pour les colonies; et le petit et même le grand cabotage n’y sont pas sans importance. Mais c’est surtout la pêche des huîtres, dites de Cancale, qui occupe le plus grand nombre de gens du littoral.

Des communications journalières ont lieu avec Jersey et Guernesey, où l’on envoie des bœufs, des moutons, des denrées diverses, etc. Granville est aussi un port intermédiaire entre ceux de la Normandie et ceux de la Bretagne. On fait dans ses environs une récolte de pommes reinettes estimées; on y sale le poisson, le lard, le beurre; on exploite le granit aux îles Chausey dont nous avons déjà parlé ; il y a dans Granville plusieurs chantiers de construction pour la marine marchande, des fabriques de dentelles, de chapeaux, de noir animal, de soude de varech, de vinaigre, de chandelles; des tanneries, des mégisseries, des scieries hydrauliques, des usines à fer, etc. Il s’y fait un grand commerce de grains, de cidre, de sel, de bois du Nord.

En 1440 lord Thomas Scales, sénéchal de Normandie pour le roi d’Angleterre, entreprit de construire' sur la montagne de Granville une forteresse qui pût tenir en respect celle du Mont-Saint-Michel appartenant aux Français. Il obligea les habitants à démolir leurs maisons situées à la pointe Gautier et sur la Houle, et à les reconstruire sur le rocher, afin de rendre la position plus forte; mais dès l’année suivante Louis d’Estouteville, commandant les troupes du Mont-Saint-Michel, s’empara de la place par surprise. Elle demeura dès lors à la France. Comme toutes les villes conquises sur les Anglais, elle garda ses anciennes franchises et ses privilèges municipaux, ses exemptions de tailles et sa milice bourgeoise de 7 compagnies, faisant elle-même en tout temps la garde de la ville; ce qui n’empêcha pas Louis XIV de faire, en grande partie, démolir ses remparts en 1689; aussi fut-elle brûlée 6 ans plus tard par les Anglais. Vainement les Vendéens l’assiégèrent-ils en 1793; ils y perdirent 1500 hommes, et le découragement s’empara d’eux malgré la présence de La Rochejaquelein et de Stofflet. Les Anglais ne furent pas plus heureux en 1803.


 

Granville
article de 1859 de Jules de Vaucelles
in 'Histoire des villes de France' d'Aristide Guilbert

Page de garde de l'Histoire des villes de France - gravure reproduite et restaurée numériquement par © Norbert Pousseur

Granville depuis la mer vers 1830 - gravure de Bouquet, reprroduite puis restaurée numériquement par © Norbert Pousseur
Granville vers 1830, par Bouquet
gravure publiée dans La France maritime - Amédée Gréan - 1837

 

Le rocher abrupt et pittoresque sur lequel Granville est bâti, comme un nid de mouettes, et qui domine avec sa vieille ceinture de fortifications la Manche, le port et les faubourgs de cette active et industrieuse colonie maritime, fut anciennement compris dans la vaste forêt de Scicy, qui couvrait la plus grande partie du Cotentin et s’étendait, dit-on, au VIIe siècle, sur le bras de mer qu’on voit s’interposer entre le continent et les îles de Jersey et de Guernesey. Selon quelques géographes, Granville aurait succédé à une ville gallo-romaine nommée Grannonum; mais cette opinion, quoique partagée par d'Anville, parait peu probable, puisque les fouilles, journellement exécutées tant dans la ville que dans les faubourgs, n’ont jamais mis à découvert aucun de ces débris de briques et de poterie de fabrique romaine, que l’on rencontre en si grande quantité sur l’emplacement des cités bâties à cette époque. On ne peut mettre en doute l'existence de l’antique Grannonum, qui était une des villes maritimes des Veneli; mais il serait possible qu’à cette époque l’emplacement actuel de Granville fût alors éloigné de plusieurs lieues de la mer et que les îles Chausey ne fussent pas encore séparées de la terre ferme, car l’envahissement par la mer d’une partie du littoral normand est un fait positif. S’il en était ainsi, la ville de Grannonum, d'abord détruite par la main des hommes, aurait donc définitivement disparu au sein de l’Océan. Toujours est-il qu’au Xe siècle, il n’existait sur le rocher de Granville ni ville ni village. Lors de l’établissement des Normands dans le Cotentin, il devint le patrimoine d’un guerrier de cette nation qui y construisit d’abord un petit château fort, et plus tard une chapelle. Ses descendants possédèrent cette seigneurie jusqu’au XIIIe siècle. Philippe-Auguste la confisqua sur un sire de Granville qui était resté fidèle à Jean Sans-Terre, et la donna à Jean d’Argouges, seigneur de Gratot (1204).

En 1436, un autre Jean d’Argouges, également seigneur de Gratot, donna la terre de Granville en fief héréditaire, moyennant la redevance annuelle d’un chapeau de roses vermeilles, à Thomas d’Escalles de Melles, sénéchal de Normandie pour le roi d’Angleterre. Un gros village, peut-être même une petite ville existait déjà au pied du rocher, près de l’embouchure de la rivière du Bosq; mais le château, qui dominait cette position, était tombé depuis longtemps en ruine. Les Anglais dominaient, à cette époque, sur toute la Normandie. Le Mont-Saint-Michel, seul, leur résistait encore; cependant une foule de seigneurs n’en continuaient pas moins sur tous les points une guerre d’escarmouches et de surprises, qui ne laissait pas aux conquérants un seul instant de repos. Un de ces seigneurs, dont l’histoire n’a pas conservé le nom, releva le petit fort de Granville, et de là commença à faire des courses jusqu’aux portes de Coutances et de Saint-Lô, enlevant les convois et les petits détachements anglais et pillant tout le pays. Le sire d'Escalles, pour mettre lin à ces ravages, s’avança vers Granville avec sa compagnie de massiers, attaqua le fort et le fit raser. L’année suivante (1437), les Français se disposaient à le rebâtir. Le sire d’Escalles vint de nouveau les en chasser, et pour leur ôter tout moyen de s’y établir, il résolut d’y fonder une ville, força les habitants à démolir leurs maisons et à les reconstruire sur le rocher; en même temps il fit venir un grand nombre d’habitants des villages voisins pour peupler sa nouvelle ville, qu’il entoura de bonnes murailles, et au centre de laquelle il plaça une forteresse flanquée de tours. C’est à ce seigneur que l’on attribue la tranchée dite aux Anglais, creusée dans le roc vif, qui coupant la falaise à la base de l’isthme, isole la ville du côté de la terre. Cette tranchée sert maintenant de passage aux baigneurs pour gagner la mer et se rendre au salon que l’administration leur a préparé sur une des saillies du rocher. C’est également à Thomas d'Escalles que l’on doit attribuer la construction de l’église. Philippe Badin, abbé de La Luzerne, homme d’une grande réputation de sainteté, inaugura les travaux et bénit la première pierre du monument, en 1438. Deux ans plus lard, ville et forteresse, tout était retombé aux mains des Français, qui n’en furent plus délogés.

Charles VII, en 1445, accrut encore les fortifications de Granville et en augmenta la population, en promettant de grands privilèges aux étrangers qui viendraient s’y fixer. Louis XI concéda la petite cité au Mont-Saint-Michel, afin de dédommager cette abbaye des pertes qu'elle avait éprouvées durant les guerres des règnes précédents; Charles VIII en donna, plus tard, le gouvernement au maréchal de Gié (1486 ). Pendant les guerres de religion du XVIe siècle, les Granvillais, fervents catholiques, ne permirent pas aux idées nouvelles de pénétrer dans leurs murs; secondés par une forte garnison qu’y avait placée Matignon, lieutenant général du roi en basse Normandie (1563), ils repoussèrent toutes les entreprises des calvinistes, et ne reconnurent Henri IV qu’en 1599. Sous la régence d’Anne d’Autriche, Granville se soumit au roi, après les arrestations des princes (1650). Louis XIV eut le tort de ne point apprécier l’importance de cette place maritime; il en fit démolir les fortifications, en 1689, funeste mesure qui laissa la ville exposée sans défense aux attaques des Anglais, lorsque ceux-ci envoyèrent une flotte nombreuse pour la ruiner (1693). Toutefois, intimidés par la bonne contenance des habitants, ils n’osèrent débarquer, et se contentèrent d’y lancer une grande quantité de bombes et de boulets incendiaires qui y firent des dégâts considérables. En 1703, six de nos vaisseaux de charge se retirèrent à Granville, à la suite de l’échec essuyé par le chevalier de Tourouvre, entre ce port et le Mont-Saint-Michel. Louis XV, mieux informé que son aïeul, apprécia l’importance de Granville, comme position militaire, et en fil relever les fortifications (1720). De nouveaux travaux, exécutés en 1744, firent de cette ville une place de guerre de deuxième classe.

L’épisode principal de l’histoire de Granville se rapporte aux guerres de la révolution. L’armée vendéenne, chassée de son pays, en 1793, par les troupes de la République, n’avait plus d’espoir que dans les secours de l’Angleterre. Les chefs royalistes, résolus à s’emparer d’un port de mer, jetèrent les yeux sur Granville, à cause de sa proximité des îles de Jersey et de Guernesey, où stationnait une flotte anglaise. Les Vendéens, réunis alors à Fougères, s’avancèrent aussitôt par Dol, Pontorson et Avranches, où ils laissèrent les femmes, les enfants et les blessés, et arrivèrent enfin, le 14 novembre, au nombre de trente mille hommes environ, sous les murs de Granville. Informé de leur approche, le représentant du peuple Lecarpentier, qui commandait dans la place, fit évacuer les faubourgs; sur son ordre, les femmes se retirèrent dans la ville avec leurs meubles les plus précieux, tandis que les hommes renouvelaient avec enthousiasme le serment de vivre libres ou mourir. La garnison républicaine, y compris les gardes nationaux, s’élevait à peu près à quatre mille hommes. Elle sortit résolument de la place et se porta à la rencontre des Vendéens dans la plaine de Saint-Pair, où s’engagea un combat d’avant-postes. Mais reconnaissant bientôt la disproportion des forces, le représentant du peuple ne voulut pas risquer une bataille qui lui eût été inévitablement fatale ; il se replia en bon ordre vers la ville, dont il fit fermer les portes. Les Vendéens qui le suivaient de près se saisirent des faubourgs malgré le feu des remparts, et à neuf heures du soir ils commencèrent à monter à l’assaut avec une rare intrépidité. Déjà même quelques-uns d’entre eux avaient gravi les murs, en s’aidant de leurs baïonnettes qu’ils enfonçaient dans les pierres, lorsqu’un déserteur qu’ils avaient admis dans leurs rangs, se mit à crier : « Nous sommes trahis! Sauve qui peut!» Soudain les assaillants se sauvèrent épouvantés, et leurs chefs ne purent jamais les ramener à l’attaque.
Ce coup de main ayant échoué, il fallut se résigner à faire le siège de la place. Les Vendéens dressèrent une batterie sur les hauteurs qui dominent la ville du côté de Saint-Pair, et jetèrent dans les maisons des faubourgs une nuée de tirailleurs qui ouvrirent un feu de mousqueterie des plus meurtriers. Une attaque devait avoir lieu en même temps du côté de la plage que la marée laissait à découvert; mais deux petits bâtiments armés, venus de Saint-Malo, s’embossèrent vers ce point, et par leur feu mirent obstacle au projet de l’ennemi. La position des assiégés n’en était pas moins des plus critiques; un grand nombre de canonniers avaient été tués dans les batteries par le feu des tirailleurs, qui, placés sur le toit des maisons, découvraient l’intérieur de la place. Le représentant du peuple se vit donc dans la nécessité de faire incendier les faubourgs pour en déloger les assaillants. L’ordre en fut donné, et aussitôt exécuté sans hésitation; l’on vit même des femmes aider avec empressement à faire rougir les boulets qui devaient détruire leurs maisons et anéantir leur fortune. Cette mesure énergique sauva Granville. Les Vendéens furent obligés d’abandonner les faubourgs, qui bientôt ne présentèrent plus que le spectacle d’un vaste embrasement ; enfin, après trente-six heures d’efforts inutiles, le découragement s’empara d’eux, et Henri de la Rochejaquelin, ne voyant point paraître la flotte anglaise qui devait coopérer à leur entreprise, prit le parti de lever le siège. Les Vendéens opérèrent leur retraite sur Avranches sans être inquiétés; la garnison républicaine, épuisée par une lutte si inégale, était hors d’état de se mettre à leur poursuite.

Les Granvillais eurent beaucoup à souffrir, sous le Consulat et l’Empire, de l’interruption de leurs travaux ordinaires; mais ils n’en furent pas moins toujours prêts à donner au pays des preuves de patriotisme et de courage. Une escadre anglaise, composée de huit vaisseaux de différents bords, vint, dans la soirée du 14 septembre, commencer contre la ville un bombardement qu’elle continua pendant deux nuits; après quoi, elle fut contrainte de se retirer : plusieurs de ses navires avaient été fort maltraités par les batteries des forts et par le feu de deux chaloupes canonnières embossées dans le port. Pendant les guerres de l’Empire, les marins de Granville armèrent plusieurs de ces corsaires qui concoururent avec tant d’éclat à soutenir l’honneur de notre marine militaire.

Granville, dans le diocèse et l’élection de Coutances, formait sous l’ancienne monarchie un gouvernement particulier; c’était le siège d’une vicomté, d’une amirauté, d’un bureau des cinq grosses fermes, d’une moyenne justice dépendante de l’abbé du .Mont-Saint-Michel, et la résidence d’un lieutenant particulier pour la juridiction du grand maître des eaux et forêts de Caen. Les habitants, constitués en corps de ville, jouissaient du privilège de garder eux-mêmes leur cité ; en l’absence du commandant de la milice bourgeoise, c’étaient les échevins qui donnaient le mot d’ordre. Granville avait, en outre, un hôpital général, fondé en 1683 par un de ses habitants nommé Baubriant, et dans lequel on recevait non seulement les pauvres, mais encore les matelots en temps de guerre. Chef-lieu de canton compris dans l’arrondissement d’Avranches, cette ville possède aujourd’hui un tribunal de commerce, une école de navigation et une inspection des douanes. Sa population, exclusivement composée de marins et de négociants, dépasse 8,300 âmes. Les Granvillais forment une colonie maritime des plus intéressantes. Ils ont une physionomie à part, une industrie qui leur est propre, celle de la pèche, et une infatigable activité à laquelle ils doivent leur prospérité commerciale. La plage, unie, sans galets, recouverte d’un sable fin et doux, attire chaque année un grand concours de baigneurs. La ville, construite sur un rocher, comme nous l’avons dit, s’avance dans la mer et forme une presqu’île. Ses rues étroites et tortueuses, ses maisons vieilles et mal bâties, sans cesse exposées au vent de mer, en font un séjour peu agréable; aussi a-t-elle été abandonnée par les négociants et les armateurs qui se sont réfugiés au pied du rocher et sur la pente d’une colline voisine, où l’on voit des rues spacieuses et bien alignées, bordées de maisons élégantes. Le mouillage de Granville est bon ; mais le port, quoique protégé par une jetée en granit d’un fort beau travail, commencée en 1719, est d’un abord difficile à cause des nombreux récifs qui hérissent son entrée. Il est fréquenté par les navires marchands de petite dimension, et il s’y fait un commerce important de poisson salé, d’huîtres, de denrées coloniales et de vins. On complète en ce moment le port de Granville en y construisant un bassin à flot qui permettra aux navires du commerce de grande dimension de le visiter sans être exposés aux inconvénients de la marée. Granville a vu naître le savant orientaliste Feudrix de Brèquigny; le conventionnel Letoumeur, et les amiraux Pléville-le-Pelley et Hugon.


Bibliographie :. Masseville, Histoire sommaire de Normandie.Mémoires pour servir à l’histoire de Granville (dans les Archives de Normandie, de Louis Du Rois). — Le Marchant, Topographie physique de Granville.Dictionnaire de Hesseln. — Notes particulières de l’auteur.






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Granville est aussi brièvement décrit sur la page du département de La Manche, en 1883

 

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