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Les villes à travers les documents anciens

Aurillac au 19ème siècle

Aurillac et groupe de paysans du Cantal, vers 1830  - gravure reproduite et restaurée numériquement par © Norbert Pousseur
Aurillac vers 1830, gravure de J.D. Hareding
extraite de Fisher Son - London - 1836
(collection personnelle).

Voir aussi la département du Cantal en 1883

Texte extrait du Dictionnaire de toutes les communes de France - éd. 1851 - Augustin Girault de Saint Fargeau
(collection personnelle).


AURILLAC, Aureliacum, Auriliacum, ancienne et jolie ville, chef-lieu du département du Cantal (Auvergne), chef-lieu du 4e arrondissement et de 2 cantons. Tribunal de 1ère instance et de commerce. Collège communal. 2 cures. Société d’agriculture, arts et commerce. Gîte d’étape. Bureau de poste. Relais de poste 10,704 habitants
Terrain tertiaire moyen, voisin du terrain volcanique.

Autrefois diocèse de St-Flour, parlement de Paris, élection, bailliage, présidial, brigade de maréchaussée, 2 églises paroissiales, 6 abbayes ou couvents.

Histoire brève : L’origine d’Aurillac paraît incertaine ; quelques auteurs la font remonter à Marcus Aurelius Antonius ; d’autres seulement à la fondation du monastère par saint Gérand, vers la fin du IXe siècle. Quoi qu’il en soit de l’antiquité plus ou moins reculée de celle ville, il est certain que son abbaye, était une des plus riches du royaume. Elle fut sécularisée par le pape Pie IV, en 1561, et on y établit une école qui fut dans le Xe et le XIe siècle une des plus célèbres de France ; elle a produit plusieurs savants, dont le plus distingué est le fameux Gerbert, qui devint pape sous le nom de Sylvestre II, en 999. — Les abbés s’arrogèrent le titre de comtes d’Aurillac mais plus tard la ville fut affranchie, nomma ses magistrats qui eurent le titre de consuls, et qui furent remplacés dans la suite par des magistrats royaux.

Cette ville était ceinte de fortes murailles et défendue par un château fort. Elle soutint plusieurs sièges pendant les diverses courses des Anglais au XIVe et au XVe siècle. Plus tard, elle fut prise et reprise par les ligueurs et par les protestants, qui s’en disputèrent la possession avec acharnement, et qui ne firent jamais faute de la piller et de la saccager, notamment en 1569. Cependant elle n’en fut pas moins le siège de plusieurs tribunaux très anciens. Les fortifications, souvent endommagées, toujours rétablies, ont finalement été détruites ; une partie seulement du château a été conservée. — De toutes les églises qui existaient du temps de saint Gérand, il ne reste plus que celle de ce nom, seulement en partie conservée, et celle de Notre-Dame, d’une date postérieure ; les autres ont été successivement détruites lors des guerres civiles dont Aurillac eut à souffrir.

Les armes d’Aurillac sont : de gueules à trois coquilles d'argent, au chef d'azur chargé de trois fleurs de lis d'or.

Aurillac, depuis une route d'accès, vers 1830 - gravure reproduite et restaurée numériquement par © Norbert Pousseur
Aurillac, et un de ses routes d'accès pricipale, vers 1830, gravure de E. Buttura
extraite de La France pittoresque - Abel Hugo - 1835
(collection personnelle).

Situation : La ville d’Aurillac est agréablement située sur la rive droite de la Jourdanne, à l’extrémité d’une vallée pittoresque qu’arrose cette rivière. Au-dessous de la ville, la vallée s’élargit et va joindre celle de la Cère ; l’ensemble de ces deux vallées est borné au sud et à l’est par des coteaux peu élevés couverts de forêts ; au nord et à l’ouest apparaissent les extrémités des chaînes des montagnes du Cantal. Celte ville est bien bâtie et se présente agréablement aux yeux du voyageur ; les rues sont assez mal percées, mais larges, propres et arrosées par des ruisseaux d’eau courante, alimentés par deux sources très abondantes reçues dans un grand réservoir au haut de la ville, et par un canal dérivé de la Jourdanne, qui fait mouvoir plusieurs usines, et qui traverse les rues bases. Les maisons sont couvertes en ardoises provenant des carrières environnantes. Au bas de la ville est une belle promenade appelée Cours-Montyon, ou plus communément le Gravier, qui longe le cours de la Jourdanne ; à l’une de ses extrémités est un fort joli pont de trois arches jeté sur la rivière ; à l’autre s’élève une belle fontaine surmontée d’une colonne de 8 m de haut. Les routes de Rodez, de Clermont, de St-Flour et de Tulle, forment aussi aux abords de la ville autant de belles avenues, dont l’agrément est encore augmenté par la beauté des campagnes environnantes.

Les plus anciens monuments d’Aurillac sont : le château de St-Etienne, qui domine la ville à l’ouest : encore ne reste-t-il des temps anciens qu’une tour carrée, tout le reste étant beaucoup plus moderne. Ce château, ancienne habitation des comtes d’Auvergne, a soutenu plusieurs sièges, et a été saccagé à diverses époques. Il a été désigné par l’autorité locale comme susceptible d’être classé au nombre des monuments historiques, ainsi que l’ancienne maison consulaire d’Aurillac.
L’église St-Gérand ou du Chapitre, ornée de beaucoup de tableaux et pourvue d’un beau jeu d’orgues.
L’abbaye des Bénédictines, située dans le faubourg de Buis.
L’église de Notre-Dame-des-Neiges édifice du XIIIe siècle, orné de beaucoup de tableaux, et dont la voûte est très belle.
Le collège, composé de quatre corps de bâtiments et d’un beau pavillon, renfermant une bibliothèque publique de 7,000 volumes, et le cabinet de minéralogie.

Vue panoramique d'Aurillac vers 1840 - gravure reproduite et restaurée numériquement par © Norbert Pousseur
Vue panoramique d'Aurillac, vers 1840, gravure de Couché
Détail du département du Cantal,
extrait de l'Atlas national illustrés des 86 départements et des possessions de la France - Levasseur - 1847
(collection personnelle).

On remarque encore à Aurillac l’hôtel de la préfecture, petit mais élégant édifice ; l’hôtel de ville, édifice spacieux dont la façade est décorée des bustes de douze de nos principaux écrivains ; la halle au blé, précédée d’une place où l’on voit un beau bassin de serpentine de 3 m de diamètre ; la salle de spectacle ; le pont sur la Jourdanne ; la colonne élevée pour perpétuer la mémoire de M. de Montyon, dont le nom est justement vénéré dans toute la contrée ; l’hôpital ; l’hospice des aliénés ; le haras, composé de chevaux arabes, turcs, anglais, normands, et de races indigènes ; la grande place du marché ; l’hippodrome situé à 1 km de la ville, destiné aux courses de chevaux, auxquelles concourent tous les départements du Midi : ces courses ont lieu pendant la 1ère quinzaine de juin de chaque année.

Industrie. Fabriques de dentelles et de blondes, d’orfèvrerie, de chaudrons et d’ustensiles de cuivre rouge et jaune. Martinets à cuivre. Papeteries. Tanneries. Brasseries. Teintureries. — Commerce considérable de chevaux et de mulets, bestiaux, fromages, chaudronnerie. Entrepôt de diverses marchanchises et commerce très actif. — Foires les 25 mai (8 jours), 6 juillet, 7 août, 11 septembre, 14 octobre, 14 novembre, 13 décembre, lundi de la Septuagésime et 2e lundi de carême.

Aurillac est à 554 k. de Paris pour les relais de poste et la taxe des lettres. Long, occid. 0°7' 0", lat. 44° 55' 0".

L’arrondissement d’Aurillac est composé de 8 cantons : Aurillac Nord, Aurillac Sud, la Roquebrou, Maurs, Montsalvy, St-Cernin, Vic- sur-Cère et St-Mamet.

 

La statue de Sylvestre II à Aurillac, vers 1875 - gravure reproduite et restaurée numériquement par © Norbert Pousseur
La statue de Sylvestre II à Aurillac, vers 1875
gravure extraite de la Géographie illustrée de la France - Jules Verne - Hetzel - 1876
(collection personnelle).

 

Biographie. Aurillac est la patrie de plusieurs hommes diversement célèbres, parmi lesquels nous citerons :

  • Saint Gérand, fondateur de l’abbaye de son nom.
  • Le pape Sylvestre II, le plus grand génie de son temps, auteur de 149 Epitres, mort en 1003.
  • J. de Cinq-Arbres, professeur d’hébreu, mort en 1587, auteur d’une Grammaire hébraïque, in-4, et traducteur de plusieurs ouvrages d’Ariannes, médecin arabe.
  • Piganiol de la Force, mort en 1753, auteur d’une Description géographique et historique de la France, 5 vol. in-12,1715, ou 15 vol. in-12, 1751-53, avec figures (meilleure édition de cet ouvrage) ; Description de Paris et des belles maisons des environs, 40 vol. in-12, 1765, et de plusieurs autres ouvrages.
  • F.-Xavier Pages, compositeur et romancier, mort en 1802, dont les principaux ouvrages sont : Cours d'études encyclopédiques, 6 vol. in-8 et atlas, an vu ; Tableaux historiques de la révolution, 3 vol. in-f° et 222 grav. ; Histoire secrète de la révolution française, 7 vol. in-8, 1796-1802 (rapsodie qui ne mérite pas d’être lue) ; Nouveaux Dialogues des morts, entre plusieurs hommes de la révolution française et plusieurs hommes célèbres anciens et modernes, in-8, 1803.
  • J.-B. Carrier, député à la convention nationale, proconsul, dont la conduite à Nantes a rendu le nom atrocement célèbre, décapité à Paris le 16 décembre 1794, à l’âge de 36 ans.
  • J.-B. Coffinhal, vice-président du tribunal révolutionnaire, mis hors la loi et exécuté après le 9 thermidor.
  • Le baron Joseph Coffinhal, conseiller à la cour de cassation.
  • Le maréchal de Noailles.
  • Le général Destaing, qui s’illustra en Egypte et en Italie.
  • Le général de division Belzons, mort glorieusement dans la fatale retraite de Russie, le 25 octobre 1812.
  • Le lieutenant général comte Manhes.
  • L’orientaliste Eug. Destaing.
  • Ant. Béraud, poêle et auteur dramatique.
  • Ch.-Fr. Raulhac, littérateur, auteur d’une Biographie des hommes remarquables de l'arrondissement d'Aurillac., in-8,1820.

 

Bibliographie.

  • Détails sur la tentative des calvinistes sur Aurillac, broch. in-8,1581
  • Raulhac (Ch.-Fr.). Discours sur les hommes de l'arrondissement d'Aurillac, qui pendant les temps connus se sont distingués par l'exercice d'éminentes fonctions, par de hautes vertus, par des talents particuliers, etc., in-8, 1820.

 

 

Aurillac et sa campagne vers 1835 - gravure reproduite et restaurée numériquement par © Norbert Pousseur
Aurillac et sa campagne, vers 1835, gravure de Rauch
extraite du Guide pittroresque du voyageur en France - 1838
(collection personnelle).

 

Histoire détaillée d'Aurillac
(texte de M. Charles Cassou, extrait de Histoire des villes de France d'Aristide Guilbert - 1853)

Autrefois capitale de la haute Auvergne, Aurillac est aujourd’hui le chef-lieu du département du Cantal. À partir d’Issoire, où finit la fertile plaine de la Limagne le sol s’exhausse, le pays change comme le caractère des hommes ; le voyageur ne chemine plus qu’à travers une nature sauvage et grandiose, à travers des monts abrupts et volcaniques où se montre bien parfois quelque joli vallon encadrant un riant village, mais dont l’aspect général est triste et désolé. Au centre du pays se développent dans leur sévère monotonie, les monts du Cantal, connus des anciens sous le nom de Montes Celtorum. De ce pays rude et volcanisé, Saint-Flour la Noire fut naturellement la capitale dans les premiers temps ; c’était dans ses murs que résidait l’évêque et que se réunissaient les États. Voisine du Limousin, élégante et propre, bâtie dans un vallon fort étendu qu’arrose la Jordane, la ville d’Aurillac contrastait trop avec l’aspect général du pays ; toutefois les avantages de sa situation topographique, sa physionomie élégante et le caractère plus vif et plus sociable des habitants, lui assurèrent rapidement la prééminence sur les autres bonnes villes du pays ; le titre de capitale lui échut alors, et elle le conserva en dépit des réclamations de Saint-Flour.

Quelques faiseurs d’antiquité attribuent la fondation de la capitale de la haute Auvergne à Antonin Marc-Aurèle lui-même, au nom duquel on n’aurait eu qu’à ajouter le mot ac qui signifie habitation, pour en faire le nom moderne d’Aurillac. Suivant d’autres, la Jordane, nouveau Pactole, aurait roulé anciennement des paillettes d’or, et la ville qu’elle arrose ne serait qu’une abréviation d’aurilacus. Il est regrettable qu’on ne trouve plus dans la Jordane, depuis les temps historiques, ces bienheureuses paillettes ; les anciennes cartes géographiques où on lit Orilhlac viennent aussi détruire ce rêve doré.
Le nom d’Aurillac apparaît pour la première fois dans l’histoire au IXe siècle ; à cette époque, le domaine de cette ville appartient à un certain Géraud, petit-fils de Géraud, comte d’Auvergne, et qui se qualifie lui-même comte d’Aurillac. Le titre de comte, à la fin de la dynastie carlovingienne, ne devait plus guère avoir d’autre signification que celle de maître, comme plus tard le titre générique de seigneur ; car nous ne voyons nulle part qu’Aurillac fût un comté. Mais c’était déjà certainement un noyau assez grand de la ville future ; des médailles et des fragments d’antiques trouvés dans les fouilles d’un ancien couvent de religieux attestent que des établissements de quelque importance avaient dû y exister dès le temps des Romains. Le catholicisme avait aussi planté là sa bannière. L’auteur de la vie de saint Géraud, canonisé plus tard, en parlant pour la première fois de la ville d’Aurillac, nous révèle en même temps son existence antérieure, puisqu’il mentionne comme une église existant déjà depuis longtemps celle de Saint-Clément où fut enseveli le père de Géraud.

Quant à Géraud lui-même, qu’il fût comte ou non, c’était sans contredit un homme riche et distingué, car le duc de Guyenne lui avait proposé sa fille en mariage ; mais à tous les honneurs du monde il préféra la gloire mystique d’élever un monastère, et il renonça aux joies de la famille pour s’adonner tout entier à cette pieuse entreprise. Géraud ne fut pas du reste un de ces fondateurs de monastères vulgaires qui s’en allaient avec quelques pauvres pénitents dresser leurs cabanes dans quelque recoin de terre sauvage ; noble et riche, environné d’amis riches comme lui, il leur proposa, quand le monastère fut bâti, d’aller y vivre ensemble, et avec son esprit facile à s’enthousiasmer, la jeunesse brillante de la contrée consentit à s’enfermer dans un cloître, comme elle aurait couru à une partie de plaisir. Le monastère s’accrut rapidement ; ses hôtes l’enrichissaient à l’envi ; et de nombreux habitants, attirés moitié par la dévotion, moitié par l’espérance de quelque gain à faire, se fixèrent tout à l’entour. Bientôt cependant les mœurs du couvent se relâchèrent, chaque jour vit la désertion de quelque cénobite mal converti. On ne sait pas trop quel était alors le genre de vie du monastère de Saint-Géraud ; l’histoire rapporte que le fondateur, tout en restant dans le célibat, n’avait jamais embrassé l’état religieux. Après sa mort, qui eut lieu à Lisignac en Quercy, il fut transporté au monastère d’Aurillac, où on le vénéra depuis comme un saint.

Le roi de France avait confirmé la fondation du monastère d’Aurillac, dans la dernière année du IXe siècle ; le petit nombre des compagnons de Géraud qui restait se soumit à la règle de saint Benoît. Le bourg prit des accroissements rapides. Nous y retrouvons, au XIIe siècle, ces fameuses compagnies de routiers que nous avons déjà vues répandre la désolation dans la plupart des villes du midi de la France. Commandées par Raymond, fils du comte de Toulouse, ces bandes à la solde du roi d’Angleterre assiégèrent Aurillac dans le mois de janvier 1185, et pénétrèrent dans le monastère, qui fut forcé de leur compter vingt-cinq mille sous. Les années suivantes amenèrent les mêmes calamités, et les Aurillaquois, épuisés par les rançons que leur imposaient sans cesse ces brigands enrégimentés, faillirent succomber sous le poids de tant de malheurs. Aurillac était alors une ville de commune, sous la suzeraineté de l’abbé de Saint-Géraud. Une sentence arbitrale passée entre l’abbé et les habitants, homologuée par arrêt du parlement de Paris, en 1288, avait confirmé à la ville le droit d’avoir des consuls, quarante conseillers, un coffre pour les deniers communaux, un sceau et des armes. Ces armoiries étaient de gueules à trois coquilles d'argent, au chef cousu d'azur, chargé de trois fleurs de lys d'or.

L’abbé, seigneur temporel, s’était réservé la justice, et l’administrait par un vicaire qui choisissait ses assesseurs parmi des gentilshommes et des bourgeois, et prenait, quant à lui, le titre de chevalier viguier de l’abbé d’Aurillac. Une pièce du temps nous montre chez ces viguiers une singulière façon d’entendre l’honneur. L’un d’eux, le seigneur Severic Demoisse, fait faire une enquête, en 1250, pour constater que lui et son père ont exécuté plusieurs condamnés, et qu’ainsi à eux appartient le droit des hautes œuvres. Cette prétention n’était pas isolée ; la même pièce faisait mention d’un autre viguier, de la famille de Géraud, nommé Austan ou Astorg, qui pendit lui-même, manu propriâ et fort adroitement, un voleur aux fourches patibulaires. Comme le droit de justice était inhérent au domaine, il y avait, en outre, à Aurillac, un riche monastère de femmes dont l’abbesse avait ce droit en même temps que la suzeraineté sur un des faubourgs. C’était le monastère de Buxo ou de Buis, qui appelle d’ailleurs notre attention pour un autre motif.

En 1555, l’abbesse de Buxo, Marie de Senectère, ne jouissait pas d’une grande réputation de modestie et de sévérité de mœurs, et nous la voyons comparaître, en effet, à cette époque, devant le bailli royal, où elle est accusée d’avoir quitté les habits de sa règle pour les belles et mondaines robes à busc, d’avoir montré ses bras à travers le taffetas bouffant de ses manches découpées, et de les avoir chargés de bracelets ; d’avoir, de plus, chaussé le velours et s’en être allée par la ville sous le toret du nez ou demi-masque ; au voile religieux d’avoir substitué le voile d’étoffe rouge ou verte ; enfin de s’être servie du mystérieux vertugade qu’avaient inventé les religieuses pour dérober au public les suites de quelque coupable faiblesse. Les arts avaient aussi été appelés par Marie de Senectère à charmer les loisirs du cloître, où elle mêlait sa voix aux accords de la guitare ; on l’avait même vue paraître à une représentation qu’avait donnée à Aurillac une troupe ambulante de comédiens venant de Paris, et qu’on nommait les Enfants Sans-Souci.

Toutes ces inculpations dénotaient, chez Marie de Senectère, des goûts qui convenaient mieux à une petite maîtresse qu’à une abbesse. Mais un tort plus grave qu’avait Marie de Senectère, c’était d’être parente de l’abbé de Saint-Géraud. La municipalité d’Aurillac poursuivait alors le monastère pour des déportements auxquels on ne voudrait pas croire, si des actes authentiques n’en faisaient foi. Depuis la désertion des amis de saint Géraud, les mœurs ne s’étaient guère améliorées au monastère d’Aurillac, bien que saint François d’Assise y eût envoyé, dans le XIVe siècle, saint Antoine de Padoue, pour y enseigner la théologie ; les moines favorisant la corruption pour en tirer les fruits, avaient séduit maintes fois les jeunes filles confiées à la direction de l’abbesse de Buxo. C’était alors que, la Réforme étant venue détruire le respect superstitieux qu’inspiraient les prêtres, dans toute la France on avait demandé des enquêtes contre leurs déportements.
Le parlement de Paris avait déjà porté plusieurs arrêts contre les moines d’Aurillac, entre autres celui du 22 mars 1547, par lequel il avait interdit l’usage de certaines saturnales religieuses, consistant en une course de tous les prêtres par la ville, au son du tambour, lorsque l’un d’eux disait la messe pour la première fois. Un article de ce même arrêt portait que toutes les concubines et femmes suspectes, étant es maisons des prêtres d’Aurillac, si aucune y en a, vuideront les lieux ; et leur défendait d'en tenir. Le parlement évoqua la nouvelle affaire de l’abbaye de Buxo, condamna l’abbesse à reprendre les habits de son ordre, et mit le monastère de Saint-Géraud en commande. Qu’on s’étonne, après le spectacle que donnaient ces abbesses mondaines, ces moines débauchés d’Aurillac, de la faveur que la Réforme obtint dans cette ville ! La corruption du clergé catholique contribua plus à ses succès que les prêches de ses missionnaires. La Réforme, en effet, triompha de bonne heure à Aurillac, et, lors de la conclusion de la paix générale, ce fut, avec Issoire, l’une des deux villes d’Auvergne où les calvinistes eurent le libre exercice de leur religion.
Mais les Aurillaquois jouissaient à peine de ce privilège, qu’un fanatique au service des Guises, Louis de Brezons, fit une levée de six cents hommes et vint s’emparer par surprise de leur ville. Pendant plusieurs jours, cette bande indisciplinée pille, massacre, viole, et ne met enfin un terme à ses excès que sur un ordre apporté par un conseiller du parlement, dépêché exprès de Paris. Brezons, que de Serres appelle « un insigne voleur s’il en fut onc », n’en reçut pas moins, à l’issue de son brillant exploit, le titre de lieutenant général, et, l’année suivante, il s’empara de nouveau d’Aurillac. Cette fois de Brezons était secondé par son digne émule Monteli. « L’on ne sauroit bonnement exprimer, dit de Serres, l’indignité des pilleries et meurtres que ces deux hommes commirent avec leurs satellites. »

Tant d’atrocités poussèrent à bout les protestants, ils songèrent à se défendre. En 1569, lorsque les hostilités eurent recommencé dans la haute Auvergne, les protestants du Rouergue, du Quercy et de la vicomté de Turenne vinrent au secours de leurs coreligionnaires d’Aurillac. Ceux-ci ayant remarqué que la porte Saint-Marcel avait été murée en dedans et qu’elle était double et en bois, percèrent l’extérieure pendant la nuit et jetèrent environ cent livres de poudre entre les deux ; ayant ensuite refermé le trou et établi une longue traînée, ils y mirent le feu. Les deux portes sautèrent en l’air, et le mur qui était derrière fut renversé ainsi qu’une partie de la muraille.
Les protestants s’élançant aussitôt par l’ouverture, au nombre de cent cinquante, culbutèrent quelques bourgeois qui voulaient leur opposer de la résistance, et firent deux consuls prisonniers. On les mit l’un et l’autre à la torture, et puis, sans autre forme de procès, on les pendit. Les calvinistes allumèrent ensuite un feu de joie sur la place publique, et jetèrent dans les flammes les archives de la commune. Sous leur domination, cent trente chefs de famille périrent du dernier supplice. Les prêtres furent enterrés jusqu’au cou, comme en Béarn, afin que leur tête servît à d’infâmes outrages. Les représailles, on le voit, étaient bien dignes des excès des catholiques ; la ville, cette fois, souffrit en outre dans ses monuments : le palais abbatial, le monastère de Saint-Géraud, le couvent de Buis, la maison consulaire, les hôpitaux, éprouvèrent de graves dommages. Les reliques de saint Géraud furent jetées au feu, et sa châsse disparut.

A la nouvelle de la prise d’Aurillac, le gouverneur de l’Auvergne, vivement affecté, donna l’ordre de marcher aux troupes qu’il avait sous la main, afin de reprendre la ville ; mais les protestants du Quercy trouvant ici appui dans leurs coreligionnaires, avaient eu le temps de se fortifier, et le gouverneur de l’Auvergne fut obligé de se retirer, sans autre résultat que celui de faire trancher la tête aux nouveaux consuls, accusés d’avoir favorisé son entreprise. Saint-Hérem ne tarda pas à revenir, et, après de courageux efforts, Aurillac allait se rendre, quand on apprit que la grande armée de Coligny, qui faisait le tour de la France pour rallier à la cause générale tous les petits foyers de protestantisme, passait dans le Forez ; déjà même un détachement de cette armée était entré dans l’Auvergne pour inquiéter les catholiques. La ville, se voyant près de sa délivrance, tint bon quelque temps encore. Pendant ce temps, les derniers corps de l’armée de Saint-Hérem se dispersèrent pour aller se défendre dans leurs garnisons respectives.

La paix de Saint-Germain (1570) rendit Aurillac aux catholiques, ce qui fit qu’en 1581 les protestants tentèrent un nouveau coup de main pour s’en rendre maîtres. Déjà les assaillants étaient montés par les échelles, et la trompette avait sonné sur les remparts ville gagnée, mais les bourgeois eurent cette fois du sang-froid ; ils engagèrent la lutte dans les rues, et « l’aurore, dit un historien sur le ton homérique, éclaira le triomphe des vaillants bourgeois et la fuite des religionnaires. » La famille consulaire des Veyre, qui s’était particulièrement distinguée dans cette affaire, fut anoblie par Henri III. Depuis lors, Aurillac resta royale ; à l’avènement de Henri IV, quelques prédications ultramontaines retentirent dans la ville, et les Cordeliers y crièrent qu’il fallait débourbonner la France ; mais on était las de guerres civiles, la tranquillité se rétablit de jour en jour à Aurillac, et le marquis de Roquelaure, lieutenant du roi dans la haute Auvergne, y fit une entrée magnifique (1590). Les consuls vinrent à sa rencontre avec des branches de lis à la main, et la population poussa à plusieurs reprises le cri de Vive le roi !

 

Aurillac vers vers 1880, - gravure reproduite et restaurée numériquement par © Norbert Pousseur
Aurillac vers vers 1880,
gravure extraite de La France illustrée - V.A. Malte-Brun - 1885
(collection personnelle).

La paix dont jouit Aurillac depuis Henri IV, fut favorable à son développement. Colbert y établit une manufacture de dentelles qu’on appelait points de France. Mais tous ses monuments avaient été détruits pendant les guerres de la Réforme ; il ne reste de la ville primitive et de l’ancien château des abbés, qu’une vieille tour carrée qui domine la ville. L’église la plus remarquable d’Aurillac est aujourd’hui Notre-Dame-des-Neiges, édifice assez curieux par une voûte hardie sans piliers, et par un tableau de la Cène du Bassan. Aussi la ville est-elle toute moderne ; un caractère d’élégance et de propreté la distingue des autres villes de la haute Auvergne. Ses rues, rafraîchies par des ruisseaux d’eaux limpides, sont larges quoiqu’un peu tortueuses. De nombreuses promenades l’entourent, parmi lesquelles il faut citer celle du Gravier, placée dans une île formée par la Jordane, au-dessous de la ville. Aurillac a aussi un hippodrome, à un quart de lieue de ses murs. La vivacité de ses habitants contraste avec la lourdeur proverbiale des Auvergnats : Le Grand d’Aussy les appelle les sybarites de l’Auvergne. Cet auteur, vers le commencement de notre siècle, donnait 20,000 habitants à Aurillac. La statistique n’y en compte aujourd’hui (1850) que 10,000, et l’arrondissement n’en a guère plus de 97,000. La ville possède des fabriques de dentelles et de blondes, des fabriques de chaudrons et d’ustensiles en cuivre jaune et rouge, des papeteries, des teintureries, des brasseries et des tanneries ; ses habitants font aussi un commerce assez considérable de chevaux et de mulets, de bestiaux et de fromages. On entrepose, en outre, à Aurillac, diverses marchandises. Le département du Cantal, dont cette ville est le chef-lieu, renferme environ 257,500 âmes et l’arrondissement un peu plus de 97,000.

Parmi les hommes célèbres nés à Aurillac, nous citerons d’abord l’illustre savant Gerbert, plus connu sous le nom de Sylvestre II, le premier pape que la France ait donné à la chrétienté. Élevé au Saint-Siège en 999, il mourut à Rome le 13 mars 1003. Ses connaissances en mathématiques et en physique, très avancées pour le temps, l’avaient fait accuser, par le peuple, de sorcellerie et de magie ; l’Europe lui doit l’introduction des chiffres arabes qu’il avait rapportés de ses voyages en Espagne ; on lui attribue aussi la première horloge dont le mouvement ait été réglé par le balancier.
Aurillac se glorifie encore d’avoir produit Cinq-Arbres (Quinquarborius), professeur de langue hébraïque et chaldaïque à l’Université de Paris ; Jacobi, auteur d’un livre intitulé Pratica aurea, et professeur de droit à Montpellier ; Piganiol de La Force, à qui l’on doit une description de l’ancienne France, et le général Delzons, mort glorieusement dans la campagne de Russie. Le vice-président du tribunal révolutionnaire, Jean-Baptiste Coffinhal, était né à Aurillac, en 1746. Cette ville a longtemps revendiqué pour un de ses enfants François Meynard, de l’Académie française, mais il parait qu’iL ne fut que le président de son présidial.

 

 

Bibliographie :
Gallia christiana. — Grégoire de Tours, Gloria martyrum. —Histoire manuscrite d'Auvergne. — Manuscrit trouvé dans le tombeau de saint Julien à Brioude, en Auvergne, édité par M. Trognon. — Imberdis, Guerres religieuses d'Auvergne. — Taylor et Nodier, Voyage pittoresque en Auvergne. — Mérimée, Notes d'un voyage en Auvergne et en Limousin. — Chabrol, Coutume d Auvergne. — Résumé de l'histoire d'Auvergne, par un Auvergnat.— Gallia christiana. — Chabrol, Coutume d'Auvergne. — Audigier, Histoire manuscrite d'Auvergne. — Le Grand d’Aussy, Voyage en Auvergne. — Ch. Nodier et Taylor, Voyage en Auvergne. — Mémoires de la société des antiquaires de France, 1831. — Imberdis, Histoire de& guerres religieuses de V Auvergne. — Montlosier, Du Cantal. — Lefèvre d’Ormesson, Mémoire concernant la province d'Auvergne en 1698, t. II des États de France.

 

Plan d'Aurillac vers 1880 - gravure reproduite et restaurée numériquement par © Norbert Pousseur
Plan d'Aurillac au 19ème siècle
Coin de la carte du département du Cantal - Malte-Brun - Atlas - 1880 (?)
(collection personnelle).



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Zoom sur Aurillac et groupe de payasans du Cantal, vers 1830  - gravure de Rauch reproduite et restaurée numériquement par © Norbert Pousseur   Zoom sur Aurillac, depuis une route d'accès, vers 1830 - gravure reproduite et restaurée numériquement par © Norbert Pousseur   Zoom sur Aurillac et sa campagne vers 1835 - gravure reproduite et restaurée numériquement par © Norbert Pousseur   Zoom sur Aurillac vers vers 1880, - gravure reproduite et restaurée numériquement par © Norbert Pousseur    Zoom sur Tour et place à Rodez,  vers 1835 - gravure reproduite et restaurée numériquement par © Norbert Pousseur

 

 

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