| Texte extrait du           Dictionnaire de toutes les communes de France  - éd. 1851 - Augustin Girault de Saint Fargeau (collection personnelle).
 AIGUES-MORTES, Rhodanusia, Aquœ Mortuce,  jolie petite ville, Gard (Languedoc), chef-lieu de canton,  arrondissement, et à 36 km de Nîmes, 737 km de Paris pour la taxe des lettres. Cure,  Bureau de poste. Population 3,393 habitants. — Terrain  d’alluvions et de tourbes. — Aigues-Mortes a un phare de 20 m. de hauteur et de  20 km de portée, varié par éclats de 4 minutes en 4 minutes, placé sur le môle  Nord-Oouest Grau-du-Roi. Latitude 43° 32’, longitude1° 48’.
 Autrefois diocèse de Nîmes, parlement de  Toulouse, intendance de Montpellier, justice royale, amirauté, bureau des  gabelles, et cinq grosses fermes, gouvernement particulier, une paroisse,  couvent de capucins et de frères mineurs.  Vue intérieure d'Aigues-Mortes vers 1850
 Dessin      de Jean-Joseph-Bonaventure Laurens, numérisé et conservé à la BNF
 Histoire La ville d’Aigues-Mortes doit son origine à une  abbaye de bénédictins, du nom de Psalmodi, détruite par les Sarrasins vers  l’année 725, et rebâtie par Charlemagne en 788. Près de là était la tour de  Métafère, forteresse autour de laquelle se groupèrent quelques maisons, dont  la réunion forma dans la suite une bourgade qui ne tarda pas à recevoir son  nom des eaux mortes environnantes. Aigues-Mortes obtint une charte de commune  en 1246.
 
 En 1248, Saint Louis acquit des moines de Psalmodi cette ville  naissante, en fit restaurer le port, y rassembla une flotte nombreuse, et s’y  embarqua le 25 août pour la Palestine. Des écrivains célèbres ont avancé que  la mer baignait alors les murs d’Aigues-Mortes ; mais il est aujourd’hui  démontré qu’au siècle de Saint Louis la mer était déjà resserrée dans ses  limites actuelles, et que la ville se trouvait alors, comme aujourd’hui, à 4  kilomètres environ du rivage. Ce qui a pu produire l’erreur dans laquelle sont  tombés la plupart des auteurs qui ont décrit la position d’Aigues-Mortes, c’est  qu’il existe en face du Grau-Louis une vaste rade susceptible de recevoir une  flotte nombreuse, où mouillèrent sans doute la plus grande partie des vaisseaux  de l’expédition de saint Louis, et où les pilotes viennent encore de nos jours  chercher un abri contre la fureur des flots ; mais ce n’était point-là ce  qu’on appelait le port d’Aigues-Mortes. Ce port existait sous les murs de la  ville. Lorsque les navires voulaient y remonter, ils entraient par le  Grau-Louis dans le Canal-Vieil, qu’ils suivaient jusqu’à la Grande-Roubine, et  de là, par une ouverture qui subsiste encore, mais qui s’est beaucoup rétrécie,  pénétraient dans l’Etang-de-la-Ville, qui baigne la partie méridionale  d’Aigues-Mortes, et qui était alors très large, très profond, et formait le  véritable port.Le 1er juillet 1270, Saint Louis s’embarqua une  seconde fois à Aigues-Mortes pour une nouvelle croisade ; le 25 août  suivant, il expira au milieu des ruines de Carthage, exprimant le désir que  son successeur fît entourer de remparts la ville d’Aigues-Mortes, ce qui fut  exécuté sous le règne de Philippe le Hardi.
  Barque et cahutes devant la Tour Constance d'Aigues-Mortes vers 1850
 Lithographie           de Thomas Shotter Boys, numérisé et conservé à la BNF
 
         Pendant près d’un siècle après la  mort de saint Louis, le port d’Aigues-Mortes fut dans l’état le plus  florissant ; chaque jour voyait entrer dans son enceinte les navires de  toutes les nations commerçantes ; mais, vers le milieu du XIVe  siècle, les sables en encombrèrent tellement l’entrée, qu’il devint impossible  aux vaisseaux d’y aborder. Le roi Jean y fit faire, en 1363, de grandes  réparations, qui furent bientôt détruites par les sédiments qu’apportaient la  mer et le Rhône. En peu de temps, toutes les communications furent encore  fermées ; la navigation intérieure cessa, et les navires étrangers,  contraints de s’arrêter sur la plage, où ils restaient exposés aux déprédations  des pirates, allèrent chercher ailleurs un port plus assuré. De nouveaux  travaux furent entrepris sous le règne de Charles VI, mais ils ne purent  ramener la vie et l’activité dans cette ville, qui, entourée d’eaux  croupissantes dont les miasmes délétères occasionnaient les plus funestes  maladies, se dépeupla peu à peu et devint presque déserte. De nouvelles  réparations furent exécutées sous les règnes de François Ier, de  Henri IV et de Louis XIII ; c’est à ce dernier monarque que l’on est  redevable de l’ouverture du Grau-du-Roi, regardé actuellement comme le port  d’Aigues-Mortes.
 Sous le règne de Napoléon, si remarquable par l’exécution  de grands travaux d’utilité publique, on entreprit de restaurer le port  d’Aigues-Mortes : on se proposait d’abord de recreuser le Grau-du-Roi,  ainsi que le canal de la Grande-Roubine, et de construire ensuite, à la  jonction de ce canal et de ceux de la Radelle, de Beaucaire et du Bourgidou, un  vaste bassin bordé de quais, dans lequel se seraient réunis les bâtiments de  mer, et où ils auraient pu commodément déposer leur cargaison et recevoir leur  chargement. Ces travaux, dont la dépense était évaluée à 695,140 francs,  furent mis en adjudication en 1810, et les entrepreneurs s’engageaient à les  terminer de 1816 à 1817 ; mais on s’est borné jusqu’ici à l’entretien du  Grau et du canal.
 Toutefois une nouvelle source de prospérité pour  Aigues-Mortes fut créée en 1811, par l’achèvement du canal de Beaucaire.
 Aigues-Mortes n’a maintenant un port qu’à l’aide du canal appelé la  Grande-Robine ; il aboutit à un chenal qui s’avance de quelques mètres  dans la Méditerranée, et qui porte le nom de Grau d’Aigues-Mortes. La Robine a  de 40 à 45 m. de largeur et environ 3 m. de profondeur dans le milieu de son  lit. Des chaussées en terre, revêtues solidement, le bordent des deux côtés. La  profondeur de l’eau à l’entrée du chenal est d’environ 4 m. Vers la fin du malheureux règne de Charles VI, les  Bourguignons, auxquels il ne restait plus dans le Languedoc que les places de  Sommières et d’Aigues-Mortes, entreprirent de résister dans cette dernière  ville au sénéchal de Beaucaire, qui avait reçu l’ordre d’en faire le siège. La  place, pourvue d’abondantes provisions et défendue par des remparts qui redoutaient  peu les assauts, tenait depuis plus de cinq mois, lorsque, dans une nuit de la  fin de janvier 1421, la garnison fût surprise par les assiégeants, auxquels  s’étaient joints les habitants, et passée au fil de l’épée. Les cadavres  étaient si nombreux qu’on prit le parti, pour éviter le pernicieux effet de  leur putréfaction, de les entasser sous des monceaux de sel, dans une des  tours de la ville, qui porte encore aujourd’hui le nom de Tour des  Bourguignons. C’est de là qu’est venue l’épithète de Bourguignon salé. Après  la trêve de Nice, François Ier et Charles-Quint eurent une  entrevue à Aigues-Mortes, en 1538. Dans les guerres de religion, cette ville  passa plus d’une fois de la domination des réformés à celle des catholiques ;  ces derniers y furent presque tous égorgés, et leurs maisons livrées au pillage  par leurs adversaires, le 12 janvier 1575. Après la paix de 1576, les calvinistes  obtinrent Aigues-Mortes et Beaucaire pour places de sûreté.
  Avant la  révolution, cette ville était exempte de tous péages et impôts de ville et de  province, de la taille, logements de gens de guerre, étapes, réparations de  rivières, chaussées, chemins, digues, etc. ; elle avait en outre le droit  de prendre tous les ans aux salines de Peccais, francs et quittes de tous  droits de gabelle, trente gros muids de sel, ou 4,320 minots. Lors de la terrible inondation du mois d’octobre 1840, la  ville d’Aigues-Mortes servit de refuge aux habitants des faubourgs et des campagnes  environnantes ; on parvint à se garantir entièrement de l’invasion des  eaux, en fermant les portes et en les terrassant, et la solidité des murs  résista aux efforts de l’eau, qui baignait les remparts jusqu’à la hauteur de 3  m.  Les murailles d'Aigues-Mortes  vers 1870
 extraite de la Géographie illustrée de la France - Jules Verne - Hetzel - 1876
 (collection personnelle).
 Situation La ville d’Aigues-Mortes est située dans une contrée  marécageuse, non loin des importantes salines de Peccais, à la jonction des  canaux de Beaucaire, de la Radelle, du Bourgidou et de la Grande-Roubine, par  lequel elle communique à la Méditerranée. Elle est entourée de remparts d’une  belle conservation, construits sur le plan de ceux de la ville de Damiette.  Leur figure est celle d’un parallélogramme rectangle, émoussé sur l’un de ses  angles, et dont la longueur est de 545 m 74 cm., et la largeur de 45 m 42 cm.
 Bâtis en larges pierres taillées en bossage, les murs s’élèvent à la hauteur  d’environ 11 m. Percés de meurtrières, garnis de mâchicoulis, couronnés de  créneaux, ils sont flanqués de quinze tours, dont les unes sont carrées et servent  seulement de passage, et dont les autres, doubles et cylindriques, renferment  des chambres propres à recevoir des combattants. Au-dessous de celles-ci s’ouvrent  de grandes portes en ogives, qui donnent entrée à la ville, où l’on a pratiqué  des coulisses intérieures pour les fermer solidement au besoin. Pour compléter  ce système antique de défense, on avait creusé au pied des remparts un large  fossé, actuellement comblé, et remplacé, sous le mur méridional, par un  terrassement qui recule l’Etang-de-la-Ville, et sert de promenade pendant  l’hiver.
 Vers l’angle émoussé des remparts, dans la partie intérieure, est  assis le château, vaste bâtiment militaire, et à l’extérieur, au milieu d’un  mur circulaire, s’élève la tour de Constance, dont la hauteur est de 29 m., le  diamètre de 66, et dont les murs ont 2 m 65 cm d’épaisseur ; on pénètre  dans l’intérieur par deux portes doublées de fer, et roulant avec peine sur  leurs gonds. Là se présentent deux vastes chambres voûtées et placées l’une  au-dessus de l’autre. La première était sans doute occupée par la garnison,  comme l’indique un four creusé dans le mur ; dans la seconde, on  renfermait pêle-mêle les prisonniers. L’une et l’autre ne sont éclairées que  par l’étroite fente des meurtrières, et par une ouverture circulaire percée au  milieu de leurs voûtes. Un escalier obscur et tortueux, ménagé dans  l’épaisseur du mur, et muni de mâchicoulis qui plongent sur la porte d’entrée,  conduit à la chambre supérieure, et puis à la plate-forme de la tour. Cette  plate-forme, entourée de créneaux, était à la fois un lieu de défense et  d’observation ; elle servait en outre à retenir les eaux pluviales, qui de  là s’écoulent dans une citerne pratiquée dans le mur. Sur ses bords s’élève une  tourelle de 11 m de hauteur, dont l’unique destination était de soutenir le  phare qui la couronne. Ce phare, se trouvant ainsi à 40 m au-dessus du sol,  pouvait facilement, malgré son éloignement de la mer, être aperçu par les  navires, comme il le serait encore aujourd’hui, si on le tenait allumé.
  Tour Constance d'Aigues-Morteset ses abords vers 1850
 Dessin      et lithographie de Jean-Joseph-Bonaventure Laurens, numérisé et conservé à la BNF
 Au commencement du XVIIIe siècle, à l’époque désastreuse où  les Cévennes étaient ravagées, dévastées comme un pays conquis par les barbares,  la tour de Constance fut convertie en prison où l’on enfermait les femmes et  les enfants des camisards dont on était parvenu à s’emparer, et où plusieurs  furent oubliées pendant près d’un demi-siècle. M. de Boufflers décrit de  la manière suivante la visite qu’il fit à la tour de Constance en 1768.  
          « Je  suivais M. de Beauveau dans une reconnaissance qu’il faisait sur les côtes du  Languedoc. Nous arrivons à Aigues- Mortes, au pied de la tour de Constance ;  nous trouvons à l’entrée un concierge empressé qui, après nous avoir conduits  par des escaliers obscurs et tortueux, nous ouvre à grand bruit une effroyable  porte, sur laquelle on croyait lire l’inscription du Dante : Lasciate  ogni speranza, ô voi ch’intrate. — Les couleurs me manquent pour peindre  l’horreur d’un aspect auquel nos regards étaient si peu accoutumés :  tableau affreux et touchant à la fois, où le dégoût ajoutait encore à  l’intérêt ! —- Nous voyons une grande salle ronde privée d’air et de jour ;  quatorze femmes y languissaient dans la misère et dans les larmes : le  commandant eut peine à contenir son émotion ; et, pour la première fois  sans doute, ces infortunées aperçurent la compassion sur un visage humain. Je  les vois encore, à cette apparition subite, tomber toutes à la fois à ses  pieds, les inonder de pleurs ; essayer des paroles, ne trouver que des  sanglots ; puis, enhardies par nos consolations, raconter toutes ensemble  leurs communes douleurs. Hélas ! tout leur crime était d’avoir été élevées  dans la même religion que Henri IV. La plus jeune de ces martyres était âgée de  cinquante ans : elle en avait huit lorsqu’on l’avait arrêtée allant au  prêche avec sa mère, et la punition durait encore ! »  Les effroyables  orgies de la régence et le parc aux cerfs contemporains de la tour de Constance !  Angle sud de l'intériuer des remparts d'Aigues-Mortes  vers 1850
 Lithographie           de Thomas Shotter Boys, numérisé et conservé à la BNF
 Aux fortifications d’Aigues-Mortes se rattache une tour,  nommée tour Carbonnière, située à mi-chemin de la chaussée qui conduit à  Psalmodi. Cette tour, bâtie dans le même style que les remparts, et ayant la  même origine, défendait l’approche de la ville ; elle est ouverte en  arceau pour le passage de la grande route, et fermée d’une double porte. — La  tour de Constance et les remparts d'Aigues-Mortes ont été désignés par  l’autorité locale comme étant susceptibles d’être classés au nombre des monuments  historiques.  Aigues-Mortes vue du côté de l'Est vers 1850
 Dessin      de Jean-Joseph-Bonaventure Laurens, numérisé et conservé à la BNF
 Le climat de la ville d’Aigues-Mortes est loin d’être aussi  meurtrier qu’on le croit généralement, et, depuis bien années, il est rare que  l’on y compte un plus grand nombre de malades, proportion gardée, que dans les  localités situées comme elle au milieu d’un pays marécageux. Toutefois elle est  exposée au vent du sud-est (le marin), dont l’influence maligne engendre  des fièvres intermittentes qui exercent leurs ravages depuis le milieu de l’été  jusqu’à la fin de l'automne, mais qui nuisent plus à la longévité qu’elles ne  causent de mortalité. Si l’on considère l’espace compris dans les remparts, on  peut conjecturer qu’à l’époque de leur construction la ville renfermait près de  10,000 habitants ; en 1774, on n’y en comptait plus que 1,600 ;  depuis cette époque, la population s’est un peu augmentée, et s’élève  aujourd’hui à 3,393 habitants. Il s’en faut beaucoup que cette population occupe  toute l’enceinte des remparts.
 En divers lieux, les maisons ont fait place à  des jardins, à des champs labourés. Le reste de la ville se compose de rues  larges, tirées au cordeau, et bordées de maisons qui n’ont toutes qu’un seul  étage au-dessus du rez-de-chaussée. Dans chacune de ces maisons se trouve un  puits, dont l’eau saumâtre ne peut servir qu’aux usages les plus communs ;  ce qui oblige les habitants à se procurer, pour boisson, des eaux pluviales ou  celles du Rhône.
 Patrie  du fécond et spirituel auteur dramatique Théaulon  de Lambert. Fabrique de soude, dite d’Aigues-Mortes,  qui s’extrait, entre Aigues-Mortes et Frontignan, de toutes les  plantes salées qui croissent sans culture sur le bord de la mer. — Commerce  considérable de poisson frais et salé, et de sel que produisent les  salines de Peccais.  — Foires  les 8 septembre (18 j.) et le 30 nov. (15 j.). — Lat. 43° 34’, long. E. 1° 45’.Bibliographie. Pietro (F.-M. di). Notice sur la 'ville d’Aigues-Mortes, in-8 et pl., 18*1.  Fortifications de St Louis à Aigues-Mortes vers 1850
 Dessin d'Alfred Guesdon, numérisé et conservé à la BNF
 
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