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Les villes à travers les documents anciens

Page de garde de La Normandie de William Duckett

Caudebec-en-Caux et lès-Elbeuf, cités normandes vers 1860

 

église Notre-Dame de Caudebec vers 1860 par Ludwig Robock - gravure reproduite et restaurée numériquement par © Norbert Pousseur
église Notre-Dame à Caudebec vers 1860, par Ludwig Robock
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Gravure ci-dessus et texte ci-dessous extrait de l'ouvrage "La Normandie" de William Duckett - édition 1866

Il y a deux Caudebec, mais tous les deux dans la Seine-Inférieure : l’un dans l’arrondissement d’Ivetot, à 7 lieues et demie de Rouen, l’autre formant la continuation du faubourg d’Elbeuf. Occupons- nous d’abord du premier.

Ancienne capitale du pays de Caux, le Caudebec dont il est ici question, et dont la population n’atteint pas encore 3,000 âmes, se dessine bâti en amphithéâtre, dans une position pittoresque, au milieu de bosquets, de jardins, de pavillons, de fleurs, comme une ville italienne, au pied d’une colline boisée, sur le bord de la Seine, qui y forme un port commode mais peu fréquenté, contenu par de larges quais, bien ombragés, d’où l’on jouit, disait le peintre de marine Joseph Vernet, juge bien compétent en pareille matière, d’un des plus beaux points de vue de France.
Cependant, malgré les fraîches et jolies Cauchoises qui s’y pressent de toutes parts, malgré la petite rivière de Caudebec, ou de Sainte-Gertrude, qui l’arrose et se sépare en deux bras avant de se jeter dans le port qu’elle divise en deux parties, cette ville est empreinte d’une tristesse dont son manque d’activité semble être la cause. L’industrie de Caudebec a été ruinée, disent les historiens qui se copient tous, par la révocation de l’édit de Nantes. Il y a longtemps de cela !  On y fabriquait alors des gants de chevreau si souples et si fins, qu’on pouvait les mettre dans une noix. L’art de la chapellerie y était porté à un tel degré de perfection, qu’on ne pouvait se présenter en bon lieu sans un chapeau de Caudebec ; ce qui a fait dire à Boileau dans son Epître à Lamoignon :

Pradon a mis au jour un livre contre vous ;
Et, chez le chapelier du coin de notre place,
Autour d’un caudebec, j’en ai lu la préface.

Son industrie se borne maintenant à quelques manufactures de toiles à voile, à quelques fabriques d’amidon, de savon, de cuir, à des filatures de coton, des tanneries et des blanchisseries. Le commerce, en revanche, y est plus florissant ; il consiste en biscuit pour la marine, grains, viandes, légumes secs, fruits, cidre, bière, volailles, etc. C’est l’entrepôt de tout le pays de Caux. Il s’y tient un fort marché toutes les semaines, et trois foires par an : le 15 mars, le 20 septembre et le samedi qui précède le 22 juillet. On exploite dans les vallées environnantes des carrières de pierres de taille et de la tourbe.

L’origine de Caudebec, dont le nom latin est Lotum ou Lotomagus, paraît remonter au delà du IXᵉ siècle. C’était autrefois une ville très forte et très importante, entourée de murailles flanquées de tours, dont on aperçoit encore des vestiges. Guillaume-le-Conquérant y passa la Seine en 1047 pour aller punir la révolte du comte d’Arques. Après la prise de Rouen par les Anglais en 1419, Caudebec fut assiégée par Talbot, qui ne parvint à s’en rendre maître qu’après six mois de tranchée ouverte. Les habitants essayèrent de secouer le joug : ils laissèrent 1,000 des leurs sur un champ de bataille près de Tancarville.
Les Anglais l’évacuèrent on 1450. Durant les guerres de la Ligue, les protestants la prirent en 1562 ; mais ils furent forcés de l’abandonner la même année. Assiégée en 1592 par le duc de Parme, Alexandre Farnèse, qui reçut sous ses murs la blessure dont il mourut, elle fut prise par Mayenne qui, cerné plus tard par Henri IV, embarqua de nuit ses troupes dans le port et sauva ainsi l’armée de la Ligue. Cette ville était, à cette époque, très florissante ; c’était l’entrepôt presque exclusif des pêches de la Seine. Aussi avait-elle pour armoiries, dans un champ d’azur, 3 éperlans d’argent remplacés ultérieurement par 3 saumons. Elle était avant la révolution de 89 chef-lieu d’une élection avec bailliage, présidial, amirauté et vicomté.

église Notre-Dame de Caudebec par Félix Benoist - gravure reproduite et restaurée numériquement par © Norbert Pousseur
église Notre-Dame à Caudebec vers 1850, par Félix Benoist
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L’église paroissiale de Caudebec est un édifice remarquable qu’Henri IV déclarait être la plus belle chapelle qu’il eut jamais vue. Elle fut commencée en 1416, interrompue en 1419, reprise en 1450 et terminée en 1454. Le grand portail, porté en avant sur une ligne légèrement convexe, est un modèle de l’époque de transition où les formes de l’architecture gothique se mêlaient à celles de la Renaissance ; ici la première domine à la base : et la seconde, au sommet. De puissants massifs, en forme d’éperons, déguisés sous un luxe inouï de sculptures, accusent par leurs saillies les divisions intérieures de l’édifice ; ils sont surmontés, les uns de clochetons aigus, les autres de lanternins élégants. Les voussures sont garnies de saints, groupés les uns sur les autres, tous du plus riche travail. Ce portail est surmonté d’une galerie, dont la balustrade, découpée à jour, dessine les mots Pulchra est et décora, devise de la Sainte-Vierge, sous l’invocation de laquelle l’église est placée. Une autre, galerie règne autour de la partie supérieure ; les balustrades en sont également découpées de manière à figurer, en lettres gothiques, la première strophe du Salve, Regina ! La tour, accolée au flanc du collatéral de droite, est carrée à la base, octogonale aux deux tiers de sa hauteur et surmontée d’une pyramide prismatique qu’entourent, de distance en distance, trois couronnes, comme pour représenter la tiare romaine.
L’intérieur ne répond pas à l’extérieur. Le bâtiment n’a pas de transept ; les bas-côtés, de largeur inégale, tournent autour du chœur et sont garnis de chapelles. Toutes les arcades, ornées de nervures prismatiques, s’appuient sur des piliers ronds, d’une seule masse, formant ainsi une alliance de formes qui semblent faites pour s’exclure. L’abside du chœur n’a que deux pans, en sorte que son extrémité est formée par un pilier central qui arrête désagréablement la vue, au lieu d’offrir une arcade qui permette à l’œil de pénétrer jusqu’au fond de l’édifice. On doit cependant remarquer de hautes et larges fenêtres, quelques vitraux du XVIᵉ siècle, l’aigle-lutrin en cuivre, du XVIIe, et les fonts baptismaux, œuvre intéressante de hucherie. La chapelle de la Vierge contient une pierre tumulaire, qui fait connaître le nom de l’architecte de l’église, Guillaume Letellier ; et une clef pendante, qui n’a pas moins de 4 mètres 30 de long, peut passer pour un chef-d’œuvre du genre. Dans la chapelle du Saint-Sépulcre, la figure du Christ, couchée sur un tombeau en marbre blanc provenant de l’abbaye de Jumièges, est surmontée d’un admirable dais en pierre. Mais les sept statues, plus grandes que nature, qui entourent ce tombeau, sont d’un goût théâtral et d’un effet désagréable. Il ne reste plus trace du jubé, dont jadis les sculptures étaient célèbres.

Aux environs du Caudebec du pays de Caux, il faut visiter les ruines de l’église de Sainte-Gertrude, lesquelles gardent encore des vitraux qui ne sont pas sans mérite ; Saint-Arnould, où les dartreux crédules vont boire et se plonger dans une mare infecte ; et la Chapelle de Notre-Dame-de-Barre-y-va, joli édifice du XIIIe siècle, dont les murs sont couverts de tableaux voués à la Vierge par les matelots au fort de la tempête, et des voûtes duquel pendent de petits navires qu’ils ont grossièrement sculptés quand ils étaient prisonniers sur la rive étrangère.

 

L’autre Caudebec, Caudebec-lès-Elbeuf, qui, comme nous l’avons déjà dit, forme la continuation du faubourg d’Elbeuf, est traversé par la petite rivière d’Oison et par les routes qui mènent à Pont-de-l’Arche et à Louviers. Jadis modeste village, il s’est considérablement accru en quelques années, grâce à ses nombreuses fabriques hydrauliques de drap, ses teintureries et ses filatures de laine. Il ne comptait que 5,400 habitants en 1840, il en a plus de 8,000 aujourd’hui. D’ailleurs, rien d’autrement remarquable.

Pour voir d'autres cités décrites dans l'ouvrage de William Duckett

 

Caudebec par Léon Morel-Fatio - gravure reproduite et restaurée numériquement par © Norbert Pousseur
Caudebec au 19ème siècle, par Léon Morel-Fatio (édition d'origine oubliée)
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Caudebec
Saint-Wandrille. — Jumièges.
article de 1859 de Jules de Vaucelles
in 'Histoire des villes de France' d'Aristide Guilbert

Page de garde de l'Histoire des villes de France - gravure reproduite et restaurée numériquement par © Norbert Pousseur

Caudebec est situé dans une position charmante, sur les bords de la Seine. Deux collines resserrent, au levant et au couchant, le vallon où cette petite ville est bâtie, et au milieu duquel coule le ruisseau d’où Caudebec tire son nom : c’est la rivière de Caux (Caletensium beccus) ou le ruisseau chaud (Culidus beccus), qui se partage en deux courants, Ambion et Sainte-Gertrude. En face, de l’autre côté de la Seine, s’élève en gradins la forêt de Brotonne avec ses souvenirs mérovingiens ; au pied, s’étend le fleuve dans toute sa majesté. Presque en face de Caudebec, on voyait anciennement la grande île de Belcinac, dans laquelle les rois de la première race construisirent un monastère ; cette île n’a pu supporter la violence de la Barre ou de la lutte continuelle de la Seine avec la mer. Ce phénomène se manifeste surtout entre Caudebec et Quillebœuf ; souvent les eaux du fleuve se dressent à plus de cinq mètres avant de retomber vaincues par la mer. Déchirée par les flots, l'île de Belcinac a disparu depuis trois cents ans.
Dès le IXᵉ siècle, il y avait à Caudebec une station de pêcheurs ; les trois éperlans que cette ville porta plus tard dans ses armes rappelaient sa première destination. Charles le Chauve, en 840, donna son port et les droits de péage qui y étaient attachés, à l’abbaye de Saint-Wandrille, fondée dans le voisinage, au VIIᵉ siècle, par des moines bénédictins. Cette donation fut confirmée par Richard II, duc de Normandie (1024). Sous Guillaume le Conquérant, Caudebec eut son église (1074) ; et Henri 1er lui accorda un marché en 1130. Dès lors Caudebec devint florissant, et, grâce à la protection ecclésiastique, crut en richesse et en importance. Une charte, conservée dans les archives départementales de la Seine-Inférieure, atteste qu’en 1282, l’abbaye de Saint-Wandrille, dont Caudebec ne fut longtemps qu’un fief, fit construire les quais qui devaient y resserrer le lit de la Seine. Les habitants avaient ajouté déjà l’industrie à la pêche et au commerce maritime. Leur pelleterie était très renommée au moyen âge ; mais les troubles du XVᵉ siècle arrêtèrent cet essor de prospérité. Livré d’abord au parti bourguignon, en 1417, Caudebec fut assiégé par les Anglais, en 1419. Henri V, en effet, venait de s’emparer de Rouen et avait le plus grand intérêt à ne pas laisser aux mains de ses ennemis une position qui commandait la Seine. Il l’envoya donc pour l’attaquer Talbot et Warwick, ses principaux capitaines. La défense que leur opposa Caudebec fut longue et opiniâtre, malgré les énormes bombardes de l’ennemi qui écrasaient les maisons avec leurs boulets de pierre. Assiégeants et assiégés, suivant l’usage du temps, échangèrent pendant six mois des défis en vers, rapportés par l’abbé Miette dans son histoire manuscrite de Caudebec :

«...On mettra vos peaux en perche,
Si longuement si persistez Et promptement ne vous rendez. »
écrivaient les Anglais aux habitants et aux soldats enfermés dans la place.
« Votre grand orgueil abattrons,
Soyez-en sûrs comme de mort Et bien les peaux fourbirons.»

répliquaient les poètes caudebecquais.

Le courage des actions répondit à la fierté des paroles. Les assiégés brûlèrent, plus d’une fois les machines des assiégeants. Enfin, réduits à la dernière extrémité, ils se rendirent le 22 septembre de l’année 1419.

Caudebec, où les Anglais mirent une garnison nombreuse, commandée par Talbot, devint, à partir de cette époque, un des boulevards de leur domination en Normandie. Ce fut la seule place, avec la ville d’Arques, qui resta en leur pouvoir, dans le pays de Caux, lorsque les paysans cauchois, écrasés par une cruelle domination, s’insurgèrent contre leurs oppresseurs (1435). Maîtres déjà de Tancarville, Lillebonne, Harfleur, Montivilliers, Fécamp, Dieppe, Yvetot, etc., ils se proposaient de marcher sur Caudebec afin d’expulser entièrement les Anglais de leur pays. Plusieurs capitaines de Charles VII, qui s’étaient d’abord joints à eux, tâchèrent de les en dissuader, en disant à leur chef, Le Carnier : « Nous avons pris un grand nombre de villes cette semaine ; c’est aujourd’hui dimanche, il faut louer Dieu. »« Vous êtes des traîtres ! » répondirent les paysans, convaincus que tous ces Armagnacs ne voulaient que prolonger la guerre ; et remplissant aussitôt leurs chariots de lard et de vivres, ils se portèrent sur Caudebec. Ils s’avançaient en désordre dans un terrain fangeux arrosé par le ruisseau de Sainte-Gertrude. Arrivés au pont jeté sur cette petite rivière, ils le trouvèrent gardé par les archers de la ville, dont les décharges meurtrières rompirent leurs rangs. Pendant le combat survint une troupe d’Anglais envoyée de Rouen au secours de Caudebec ; elle tomba sur les paysans qui, enveloppés par deux corps d’armée furent impitoyablement taillés en pièces. « La malédiction fut après si grande en Caux, dit la chronique de Normandie, que le pays demeura inhabité. »
La conquête de Charles VII put seule relever le pays d’une aussi affreuse misère. Ce prince, aussitôt après la capitulation de Rouen (1449), fit une entrée magnifique à Caudebec, accompagné du roi de Sicile et d’une suite innombrable de seigneurs, parmi lesquels on distinguait Dunois, Pierre de Brézé, le sire de Blainville et les deux frères Bureau de la Rivière, qui dirigeaient l’artillerie de l’armée française. C'est alors que s’ouvrit pour Caudebec l’ère la plus brillante de sa fortune ; la population y était considérable, l’industrie active ; sa ganterie et sa chapellerie jouissaient surtout d’une grande réputation ; on y fabriquait des gants de chevreau si fins et si souples qu’ils pouvaient tenir dans une noix. Les chapeaux connus sous le nom de Caudebecs étaient célèbres dans toute l’Europe ; on en fit un commerce très mportant jusqu’au XVIIᵉ siècle. Ce fut pendant cette période d’activité industrielle, c’est-à-dire dans les dernières années du XVᵉ siècle, que l’on continua la construction de Notre-Dame, terminée seulement en 1480. Cette église est encore de nos jours le plus bel ornement de Caudebec : sa flèche gracieuse a la forme d’une tiare ; ses voûtes découpées et sculptées avec un art exquis, les pendentifs qui s’en détachent, les légendes de pierre qu’elle dresse vers les cieux, forment un ensemble digne d’admiration. L’architecte, Guillaume Letellier, fut enterré en dans le monument qui devait transmettre son nom à la postérité. Le commerce et la richesse de Caudebec s’accrurent jusqu’à l’époque des guerres de religion.

Au mois de juillet 1562, les huguenots, déjà maîtres du Havre et de Rouen, voulant dominer tout le cours de la Seine, s’emparèrent de Caudebec qui, par sa position sur le fleuve, était une place importante ; mais ils en furent presque immédiatement expulsés par le baron de Clères, l’un des chefs catholiques, et lorsque, à la fin de l’année, l’armée royale vint assiéger Rouen, un barrage fut établi à Caudebec, afin d’intercepter les communications entre Rouen et le Havre occupé par les Anglais. On fit couler dans la Seine des bateaux chargés de pierres et de sable, et l’on éleva sur le bord du fleuve une batterie flanquée d’artillerie. La flotte anglaise, partie du Havre, s’ouvrit néanmoins un passage à travers celte barrière de vaisseaux et de canons. Montgomery, forcé de fuir de Rouen, franchit aussi, plus tard, le barrage de Caudebec, dans une galère, et descendit la Seine jusqu’à son embouchure. Lorsque Henri IV vint assiéger Rouen, en 1591, Caudebec était au pouvoir des Ligueurs. Le maréchal de Biron s’en saisit pour faciliter les communications entre le roi de France et ses alliés d’Angleterre. L’année suivante, le prince de Parme ayant délivré Rouen, tourna aussitôt ses armes contre Caudebec. La place fut investie, le 24avril ; la flotte hollandaise s’était portée à son secours : aussi les plus grands efforts devinrent nécessaires pour l’enlever, et il fallut même que le prince s’exposât au feu. Il fut blessé au bras, la veille du jour où Caudebec se rendit. Bientôt après, bloqué dans cette ville par Henri IV qui venait de chasser les Ligueurs de la forte position d’Yvetot, le général espagnol semblait perdu. Les vivres lui étaient coupés, et la basse Seine se trouvait fermée par la flotte hollandaise. Dans cette position désespérée, le prince de Parme ayant ordonné qu’on lui amenât plusieurs galères de Rouen, jeta pendant la nuit un pont sur la Seine, traversa le fleuve sous le feu de l’ennemi et effectua tranquillement sa retraite. Comme l’on demandait de sa part à Henri IV ce qu’il pensait de cette habile manœuvre, le roi répondit brusquement qu’il ne se connaissait pas en retraite et que la plus belle lui semblait une fuite.

Depuis cette époque, le nom de Caudebec disparaît de I'histoire : la ville conserva pourtant quelque importance, puisqu’elle était, au XVIIᵉ siècle, le siège d’une élection et d’une vicomté, ou tribunal ressortissant au bailliage de Caux. La révocation de l’édit de Nantes anéantit son industrie qui avait déjà beaucoup souffert des guerres de religion. On lit dans le rapport de l’intendant chargé par Louis XIV, en 1698, de lui présenter le tableau de la généralité de Rouen, que les chapeaux appelés Caudebecs, qui étaient encore célèbres du temps de Boileau, s’écoulaient jadis, en grande quantité, dans la Hollande, l’Angleterre et tout le nord, malgré les prohibitions ; mais que, depuis dix ou douze ans, plusieurs chapeliers cauchois s’étant établis à l’étranger, tous les chapeaux fabriqués à Caudebec, à Rouen et ailleurs, ne se vendaient plus que dans le royaume. Caudebec était encore, en 1789, la capitale du pays de Caux, le siège d’un gouvernement militaire, d’une élection, d’un bailliage, d’un présidial, d’une amirauté, d’une maîtrise particulière des eaux et forêts et d’un grenier à sel ; il y avait dans ses murs un hôpital et deux couvents, l'un de Capucins, l’autre de la congrégation de Notre- Dame pour l’instruction gratuite des jeunes filles. Caudebec figure aujourd’hui dans le département de la Seine-Inférieure comme chef-lieu de canton de l’arrondissement d’Yvetot. Le recensement de 1846 ne lui donne qu’une population de 2,384 habitants, chiffre bien au-dessous de celui du XIVᵉ siècle. Il n’existe plus d’autres traces de son ancien commerce que quelques tanneries ; ce n’est plus enfin qu’une de ces petites villes qui meurent étouffées entre les grands centres de population et d’industrie.

Caudebec a donné naissance au célèbre prélat Thomas Basin, évêque de Lisieux et l’un des hommes les plus doctes du XIVᵉ siècle. On a de lui de nombreux ouvrages de théologie et d’histoire : le plus important est une histoire de Charles VII et de Louis XI écrite en latin sous le pseudonyme d’Amelgard, chanoine de Liège. Forcé de se dérober par l’exil aux persécutions de Louis XI, Thomas Basin se réfugia en Belgique ; et c’est là que sous l’impression du ressentiment, il composa cette histoire restée manuscrite, comme tous ses autres ouvrages. M. Jules Quicherat, auquel on doit une excellente biographie de Thomas Basin, prépare la publication de I'histoire de Pseudo-Amelgard. Théodore Licquet, auteur d’une histoire de Normandie, naquit aussi à Caudebec, le 19 juin 1787 ; il est mort bibliothécaire de la ville de Rouen, en 1832.

A quelques kilomètres de Caudebec, dans une jolie vallée solitaire, gisent les ruines de l’antique et illustre abbaye de Saint-Wandrille, dont nous avons eu déjà occasion de parler dans le courant de cette notice. Ce fut au VIIᵉ siècle que des moines bénédictins, conduits par Wandregisile ou Wandrille, défrichèrent la vallée encore déserte et y bâtirent un monastère qui devint bientôt un des plus célèbres de la Gaule. L’abbaye de Saint-Wandrille, ainsi appelée du nom de son fondateur, était aussi désignée sous celui de Fontenelle, à cause d’une petite source (Fontanella) qui coulait aux environs. école florissante, riches donations, moines fameux, tels que saint Ansbert, Ansegise et éginard, rien ne manqua à sa puissance et à sa renommée. Caudebec, ainsi qu’on l’a vu, ne fut longtemps qu’un fief situé dans sa mouvance ; car la souveraineté du monastère s’étendait au loin sur la Seine. Des ogives croulantes, un cloître avec des débris épars de sculptures, voilà tout ce qui reste aujourd’hui de la royale abbaye de Saint-Wandrille. Celle de Jumièges, sa rivale et sa voisine, a été plus heureuse. Le voyageur peut encore admirer la hardiesse de ses voûtes, la beauté pittoresque de ses ogives et de ses pleins-cintres qu’un propriétaire intelligent a sauvés des ravages du temps.
Jumièges, comme Saint-Wandrille, fut fondée au VIIᵉ siècle ; saint Philibert et ses moines s’établirent dans la presqu’île que forme la Seine entre Caudebec et Duclair. Sous son second abbé, Jumièges comptait huit cent moines : c’est là que furent relégués les fils de Chlodwig II, après que leur père, dit la légende, leur eut fait couper les nerfs pour les punir d’une révolte. Les énervés avaient leur tombeau et leur statue dans l’église du monastère. Robert de Jumièges, qui fut un instant archevêque de Cantorbéry ; Guillaume Calcul, historien des ducs de Normandie au XIᵉ siècle, sortirent l’un et l’autre de cette abbaye. Non moins puissante que Saint-Wandrille, elle embrassait dans sa juridiction les deux rives de la Seine. Quillebeuf, sur la rive gauche de ce fleuve, et Duclair, sur la rive droite, à l’embouchure de la petite rivière de Sainte-Austreberte, lui appartenaient et lui servaient de ports. Les ruines de Jumièges, admirablement conservées par M. Casimir Caumont, frappent tout d'abord le regard du voyageur. Des souterrains immenses ont été déblayées, et l’âme la plus froide éprouve au milieu de ces débris d’un autre âge un saisissement religieux. A côté des graves pensées que rappelle la vie monastique, d’autres images planent d’ailleurs sur ces ruines magnifiques ; Charles VII et Agnès Sorel les remplissent de leur mémoire. La Dame de Beauté habitait le Mesnil-sous-Jumièges, où l’on montre encore son manoir. Elle mourut à Jumièges, en 1450. Longtemps son cœur a reposé sous les voûtes du monastère, et des inscriptions plus ou moins poétiques rappellent à chaque pas le souvenir de sa beauté et des services que lui attribue une tradition plus romanesque qu’historique.

 

Biblographie : Neustria Pia. — Gallia christiann, t. XI. — Toussaint-Duplessis, Description de la haute Normandie. — Histoire manuscrite de Caudebec, par l’abbé Miette, à la bibliothèque publique de Rouen. — Archives du département de la Seine-Inférieure. — Mémoire sur la généralité de Rouen, manuscrit de la bibliothèque publique de Rouen, f. Leber.






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