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Les villes à travers les documents anciens

Nagasaki en 1871
1871 年の長崎

 

Baie de Nagasaki  vers 1870 - gravure reproduite et restaurée numériquement par © Norbert Pousseur
Baie de Nagasaki en 1871

 

Voir aussi sur ce site la carte de Nagasaki en 1700

Texte et gravures tirées de l'ouvrage Promenade autour du Monde, par le baron de Hübner, édition de 1877

 

NAGASAKI

28 septembre 1871.— Après une journée fort agréablement passée à Hyōgo avec le consul anglais M. Gower et avec ses amis, je m’embarque dans la nuit à bord du steamer américain New- York, capitaine Furber, l’un des hommes les plus aimables que j’aie rencontrés sur les mers.

29 septembre. — Notre navire, le New-York a appareillé à trois heures du matin, et s’est aussitôt engagé dans la mer intérieure. Au lever du soleil je suis sur le pont. Des deux côtés surgissent des îlots coniques. Au sud se développent les hautes montagnes de l’île de Shikoku.

A deux heures nous sommes devant Mehara, situé sur le continent, c’est-à-dire sur l’île principale appelée par les Européens Niphon. On passe devant le grand yashki, d’aspect féodal, du prince de Kishiu : pour l’œil, c’est un mur percé, à égale distance, de grands portails. Le prince y est ; des hommes armés fourmillent aux approches du château et sur la plage. Tout près de là est le han, le chef-lieu du fief. à bord, autour de moi, on se demande si tout cela croulera réellement comme les murs de Jéricho devant les nouvelles ordonnances de Yedo.

Le New-York continue de son pas réglementaire : dix milles à l’heure. Les éléments du paysage, renommé à juste titre pour son indéfinissable beauté, sont toujours les mêmes. La mer, aujourd’hui comme une glace, devient tour à tour lac et fleuve. Partout d’innombrables volcans éteints, flanqués de blocs arrondis qui ressemblent aux flots de l’Océan. Une végétation abondante les recouvre de pied en cap. Les parois des gorges sont relevées en terrasses et converties en champs ; les crêtes des rochers, panachées d’arbres. Entre leurs troncs, on voit le ciel ; comparés aux montagnes, les arbres se présentent comme des géants. Et pourtant, contemplées à travers le prisme de l’atmosphère voilée et humide, les montagnes paraissent éloignées et fort élevées. Effet d’optique étrange et fantasque, qui explique certaines bizarreries apparentes de la peinture japonaise. Bien souvent ce qui nous paraît bizarre n’est qu’une reproduction fidèle de la nature. Sur la plage, au fond de mille petites baies, blanchissent des villes, des bourgs, des hameaux de pêcheurs. Des bateaux fourmillent dans les anses et le long des petites jetées qui avancent dans l’eau. Au-dessus des toits, se profilent les flancs de la montagne ! Des escaliers taillés dans le roc mènent au temple, enseveli dans le feuillage épais du bosquet sacré. Parfois les sons lugubres et solennels du gong appelant les Dieux rompent le silence qui plane sur le lac.

Shimonoseki  à Nagasaki  vers 1870 - gravure reproduite et restaurée numériquement par © Norbert Pousseur
Vue prise à Shimonoséki, en face de Kokoura, en 1871

30 septembre 1871. — La plus belle partie de la mer intérieure est le détroit de Shimonoseki, connu en Europe par l’attaque des escadres anglaise et française en 1864. Par malheur nous l’avons franchi quelques heures avant le lever du soleil. En revanche, la journée d’aujourd’hui est, plus encore que celle d’hier, riche en magiques tableaux qui, composés des mêmes éléments, varient toutefois à chaque tour de roue de notre bateau. La mer s’élargit, les horizons s’étendent. Au sud les contours de l’île Firando, célèbre par les prédications de saint François Xavier, surgissent plus fantastiques ; les montagnes de la grande île de Kyushu, qui jouent un si grand rôle dans l’histoire du jour, forment un arrière-plan plus imposant ; les rochers éparpillés dans la mer et percés à jour par des grottes où s’engouffrent les vagues, sont plus nombreux et plus escarpés. Quelques-uns, dépourvus de toute végétation sur leurs flancs, mais couronnés d’épaisses touffes d’arbres gigantesques, détachent leur silhouette noire sur le ciel lumineux et ressemblent à la tête d’un géant aux cheveux ébouriffés, que la main d’un maître aurait hardiment tracée sur une feuille de papier gris. Un de ces îlots est rayé de haut en bas. Ce sont de profondes crevasses habitées par des milliers d’oiseaux blancs.

Nous sommes à l’entrée de la baie de Nagasaki. Une haute et longue montagne forme comme un rideau vert, derrière un dédale d’îlots. L’un d’eux, un pan de muraille couronné d’arbres, est le Papenberg. C’est du haut de ce rocher que quatre mille chrétiens ont été précipités dans la mer. C’est ici qu’a été noyée la véritable civilisation du Japon. Aujourd’hui le Papenberg est le rendez-vous et le but de promenade des résidents européens de Nagasaki. « Nous y faisons nos pique-niques » me disait l’un d’eux. Des quatre mille martyrs il n’avait aucune souvenance.

Papenberg  à Nagasaki vers 1880 - reproduction © Kusakabe Kimbei et retravaillée par Norbert PousseurLe Papenberg - Photo identifiée de Kusakabe Kimbei (1880-1890)
Collection The New York Public Library Digital Collections

à cinq heures le New-York jette l’ancre sur la rade de Nagasaki. La ville se présente en amphithéâtre. A l’est est le quartier des Européens, gagné sur les eaux de la baie à la suite de travaux considérables. Dans des positions culminantes, on voit l’église catholique flanquée d’un acacia gigantesque, l’imposant édifice du consulat d’Angleterre et le célèbre Camposanto des indigènes. Au fond est Deshima, l’ancienne factorerie hollandaise, et, derrière cet îlot, la ville indigène, le tout encadré de hautes et vertes montagnes. La mer ressemble à un lac. Plusieurs navires de guerre étrangers, des bâtiments de haut bord et un grand nombre de de jonques animent la rade.

J’ai laissé l’automne à Yedo et à Hyōgo ; ici je retrouve l’été. Assis sur le pont de notre steamer, aspirant avec délices un air tiède et embaumé, nous jouissons de l’indescriptible beauté d’une nuit presque tropicale. La brise nous amène, avec les parfums de la forêt, des sons de musique. C’est la bande de la frégate cuirassée l'Océan, qui joue le God save the Queen, l'Invitation à la valse de Weber, des contredanses. Nous sommes émus et charmés. C’est comme un souffle d’Europe.

1er octobre.— Fait le tour de la ville. Les magasins et dépôts des négociants européens, aujourd’hui fermés, à cause du dimanche, occupent la partie basse du quartier des étrangers. Leurs maisons, entourées de jardins, rampent dans les sinuosités des gorges ou couronnent les hauteurs. Ici, comme à Yokohama et à Hyōgo, on se plaint d’une stagnation dans les affaires. En revanche, les escadres anglaise, française et américaine des mers chinoises, visitent souvent le port, et les steamers de la compagnie du Pacifique le touchent régulièrement.

Cimetière à Nagasaki  vers 1870 - gravure reproduite et restaurée numériquement par © Norbert Pousseur
Collines funéraires à Nagasaki en 1871


L’église, desservie par des prêtres appartenant aux Missions étrangères de Paris, est remplie de matelots et de soldats de la frégate anglaise. Au reste, trois hommes en bourgeois, moi compris, et pas une femme.
L’ancienne factorerie hollandaise de Deshima (fondée en 1638 el supprimée à la suite des traités de 1858, qui ont ouvert le port de Nagasaki à toutes les nations) peut se parcourir, dans toute sa longueur, en moins de trois minutes. Sa largeur n’est que de quelques pas. à l’exception de la maison, occupée aujourd’hui par le consul des Pays-Bas, toutes les autres sont postérieures au dernier incendie qui, il y a treize ans, a entièrement détruit les édifices de l’ancien établissement, ou plutôt de l’étroite prison des négociants hollandais. Ces hommes n’osaient jamais la quitter, et étaient constamment gardés à vue. On connaît le triste rôle que les membres de la factorerie ont joué au temps des persécutions contre les chrétiens. Il s’explique par des antipathies religieuses et politiques — les états Généraux étant alors en guerre avec la couronne d’Espagne, qui avait en outre pour sujets les missionnaires, — par des rivalités commerciales, par le désir d’évincer les Portugais qui possédaient encore des comptoirs florissants sur différents points du Japon. D’après quelques auteurs catholiques, les marchands hollandais auraient indirectement contribué à l’extermination des chrétiens catholiques étrangers et indigènes. Ce fait n’est pas constaté ; ce qui semble certain, c’est que les Hollandais n’ont cessé d’exciter les méfiances des shoguns contre les missionnaires, en accusant ceux-ci d’être des agents politiques de l’Espagne, chargés de préparer les esprits à une invasion méditée par le roi. Sous ce rapport, une grande part des maux atroces qui ont fondu sur les apôtres et sur leurs néophytes tombe à la charge de la Hollande. Pour n’être pas enveloppés dans la ruine des chrétiens, ils s’évertuèrent à faire comprendre la différence qu’il y a entre leur communion et la religion catholique. C’est ainsi qu’ils obtinrent et exercèrent pendant plus de deux siècles le monopole très lucratif du commerce avec l’Europe. En revanche, leur demeure était une prison, leur existence un supplice. Le magique pouvoir de l’or peut seul expliquer comment ils ont pu se soumettre à de telles tortures. Tous les quatre ans, une sorte d’ambassade d’obéissance devait être envoyée à Yedo auprès du shogun et quelquefois auprès du Mikado.
J’ai déjà nommé le médecin allemand Engelbert Kaempfer, employé, comme on sait, à la factorerie de Deshima, et devenu célèbre par son excellent livre sur le Japon. Il nous a laissé un récit palpitant de l’une de ces missions dont il a fait partie. à en juger par l’exactitude qu’il apporte dans la description des localités, et que j’ai pu vérifier sur les lieux, sa véracité est indubitable. Le délégué ou ambassadeur de la factorerie et sa suite voyageaient dans des norimons fermés et étaient constamment traités comme des prisonniers d’état. On les entourait de certains honneurs, mais, sauf de rares exceptions, on les empêchait de rien voir. Il fallait à Kaempfer des prodiges d’adresse pour observer, prendre des notes et faire furtivement les dessins qu’il donne dans son ouvrage. Introduits en présence de l’empereur — shogun ou mikado, — que cependant ils ne voient pas, car il se tient avec l’impératrice derrière un grillage, les membres de l’ambassade, sauf le chef qui en est dispensé, sont forcés d’exécuter une sorte de représentation théâtrale. Ils doivent causer dans leur langue, se dire des injures, feindre des rixes, faire l’ivrogne et exécuter des danses. On a affirmé qu’ils étaient aussi obligés de marcher sur la croix. Kaempfer n’en dit rien, et, jusqu’à preuve du contraire, il n’est que juste de repousser cette accusation. Mais on assure que plusieurs fois, à Nagasaki, durant l’époque des grandes persécutions, cette cérémonie eut lieu en présence des membres de la factorerie, et que les sanjis, en gens qui savent vivre, eurent la délicatesse de les prévenir en les invitant à détourner la tête. Dans les dernières années qui précédèrent l’ouverture du port de Nagasaki et la dissolution de la factorerie, les scènes burlesques dont je viens de parler ne se renouvelèrent plus. Les shoguns étaient suffisamment édifiés sur la manière dont les Hollandais s’injurient, dansent et s’enivrent. Il est juste pourtant de rappeler que le gouvernement des Pays-Bas peut revendiquer l’honneur d’avoir, dans son dernier traité avec le shogun, stipulé l’abolition « des pratiques injurieuses au christianisme ».

Au bazar, on peut voir les vases, jadis célèbres, de porcelaine laquée de Nagasaki. On en exporte encore des quantités prodigieuses aux états-Unis et en Europe.

Le consulat anglais est une maison spacieuse, somptueusement meublée. On se croirait dans quelque country house d’un nobleman de la vieille Angleterre. C’est l’heure du tiffin. Le chi-ji (le gouverneur), son dai-sanji avec des interprètes, le capitaine Hewitt, de l'Océan, et les différents consuls sont réunis autour de la table de M. Annesley. La conversation roule sur les réformes annoncées à Yedo. On accable le gouverneur de questions. « Toutes ces innovations seront-elles acceptées par les intéressés ? Y aura-t-il des résistances, des insurrections peut- être ? Les daïmios se prêteront-ils aux sacrifices qu’on leur demande ? Ou bien toutes ces belles ordonnances resteront-elles à l’état de lettre morte ? » A toutes ces questions, le gouverneur et son dai-sanji donnent textuellement les réponses que les hauts fonctionnaires m’ont faites à Yedo, à Kyôto, à Otsü, à Hyōgo. Tout ira pour le mieux et comme sur des roulettes. Le refrain final est invariablement que, dans trois ans, la réforme sera accomplie. évidemment, le gouvernement de Yedo sait donner le mot d’ordre et se faire obéir par ses organes. Mais les daïmios obéiront-ils ? S’empresseront-ils, conformément aux ordonnances publiées au nom du Mikado, d’accomplir ce harakiri politique et financier ? Voilà la question sur laquelle les avis sont partagés. .../...


Article du Dictionnaire universel dHistoire et de Géographie de Bouillet (éd. 1842).

Nangasaki ou Nagasaki, ville du Japon et une des cinq villes impériales de cet empire, dans l'île de Ximo, à l'extrémité Ouest, par 127°31' en longitude Est, 32°45' en latitude Nord ; 30.000 habitants. Bon port, vaste baie ; environ 36 ponts sur de petites rivières ; plus de 60 temples, divers palais. Grand mouvement industriel et commercial. C'est la seule vile du Japon où soient admis les étrangers (chinois et hollandais) : encore sont-ils confinés, les premiers dans le Sud-Ouest de la ville, les seconds dans l'îlot de Decima, et surveillés rigoureusement.

 

 

 

 

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