Extrait du dictionnaire universel du Commerce de Jacques Savary des Bruslons, édité en 1723, les statistiques de cet article étant arrêté à l'année 1716.
Commerce de Lisbonne.
Il part tous les ans de Lisbonne, et de Porto, vingt ou vingt-deux vaisseaux Marchands pour le Rio-Janeiro, trente pour la Baie de tous les Saints, autant pour Pernambouc, et sept ou huit pour le Paraïba. Ceux qui vont à Rio-Janeiro, et à la Baie de tous les Saints, sont d’environ cinq cens tonneaux ; et ceux pour Pernambouc, et le Paraïba, seulement de deux cents cinquante ; parce que de plus grands bâtiments ne pourraient entrer dans les Ports de ces deux derniers Capitanats, ou Provinces du Brésil.
Tous les bâtiments destinés pour un même lieu, partent ensemble, et reviennent de même ; ceux de Porto se joignant à ceux de Lisbonne. Les vaisseaux destinés pour Paraïba, et Pernambouc, vont toujours de conserve, et reviennent aussi en flotte.
Le Roy de Portugal donne tous les ans cinq vaisseaux de guerre, pour escorter les navires marchands : savoir, deux pour Rio-Janeiro, autant pour la Baie de tous les Saints, et un pour Pernambouc. Au retour, il envoie encore au-devant quelques autres vaisseaux, jusqu'à la hauteur des îles Açores.
Le départ de tous ces bâtiments pour le Brésil, est ordinairement dans le mois de Mars ; et le retour, en Septembre, et Octobre.
Il était autrefois permis d’envoyer de l’argent au Brésil ; mais présentement tout ce Commerce se fait en marchandises ; la permission d’y porter des espèces ayant été révoquée, tant parce qu’elle en épuisait le Royaume, qu’à cause que la Douane en souffrait une grande diminution de ses droits de sortie.
Les marchandises qu’on porte au Brésil, sont, des Farines, du vin, de l’eau-de-vie, de l’huile, des étoffes communes de laine, des toiles de lin, et du fil, qu'on prend en Portugal.
Des bas de soie, des chapeaux, des bayettes, des serges, et autres semblables laineries, qu’on tire d’Angleterre, et de Hollande.
Des toiles blanches, appelées Panicos ; des toiles écrues, nommées Aniages et Grega ; des platines, et fonds de cuivre, propres pour les engins, ou moulins à sucre, qu’on fait venir de Hambourg.
Des toiles de Bretagne, de la moindre largeur ; des droguets, des serges, et des brocards nus, de toutes sortes de couleurs, que la France fournit.
Enfin, des tabis de soie, des taffetas, des soies pour coudre, et du papier, qui viennent d’Italie.
Les marchandises d’Angleterre font la moitié de ce Commerce, et sont celles dont le débit est plus grand, parce qu'elles conviennent à tout le monde.
Les retours du Brésil sont, en sucre, en tabac, en cuirs, etc.
Tout le négoce du Brésil se fait par les vaisseaux Portugais ; et il n’est pas permis aux autres Nations d’y envoyer leurs navires. Il y va cependant quelques interlopes ; et assez souvent les Anglais ont part aux cargaisons, qui se font pour ce Pays à Lisbonne, et à Porto ; mais sous le nom des Marchands Portugais ; à peu près comme on en use pour le Commerce de l’Amérique Espagnole.
Les étrangers, à ce qu’on croit, ne perdent pas beaucoup à cette interdiction de Commerce avec le Brésil ; non-seulement à cause de la longueur du voyage, qui dure ordinairement une année ; mais encore pour le peu de fret que l’on paie pour les marchandises qu’on y envoie ; sur lequel même le Roy de Portugal, pour contribuer aux frais de l’escorte qu’il donne, lève un droit, qui, l’un portant l'autre, va au quart de ce qui en revient à l’affréteur ; outre que l’armement, et les équipages des vaisseaux Portugais, reviennent à beaucoup meilleur marché, que les étrangers ne le pourraient faire, à cause de la sobriété de la Nation, et du peu de gages qu’on donne aux Matelots.
Les marchandises qu'on envoie au Brésil, qui sont prises en Portugal, payent les droits de sortie, à raison de cinq pour cent. Celles qui viennent de l'étranger, n'en payent que trois ; mais elles ont déjà payé les droits d'entrée sur le pied, d'environ douze pour cent, compensation faite d'une marchandise à l'autre ; y en ayant dont les droits sont plus hauts, et les autres moins ; outre le droit de commission, qui est le six pour cent pour celles qui y vont, et de quatre pour celles qui en reviennent.
Les marchandises qu'on porte de Portugal au Brésil, n'y payent aucuns droits d'entrée ; et celles qui en sortent, n'en payent aucun de sortie. La même franchise est établie dans toutes les Colonies de la domination de Portugal.
Le bois de Brésil n’est point dans le Commerce : il appartient au Roy seul. Il en vient, année commune, quatre à cinq mille quintaux, qui se débitent à Lisbonne, et à Porto, et qui passent à l'étranger ; le tout au profit du Roy, qui en tire ordinairement, tous frais faits, 30 0000 livres par an.
On parlera ailleurs du Commerce de Goa, et des autres Colonies, que les Portugais ont aux Indes Orientales. Voyez, ci-après le Commerce de l’Asie. On en ajoutera feulement ici quelques particularités, qui regardent les armements qui se font à Lisbonne pour ce négoce.
Il part tous les ans de Lisbonne pour Goa, un navire, au plus deux, qui mettent à la voile à la fin du mois de Mars. C’est le Roy qui les fournit, qui les fait armer, et qui en paye l’équipage. Ils sont ordinairement de huit cens tonneaux la cargaison des marchandises n'est guère pourtant que de deux cents tonneaux ; à cause qu’outre les passagers, et les soldats, ils sont chargés de quantité de choses, qui n’entrent point dans le Commerce. Il est vrai que le salaire des Matelots étant très smédiocre, on leur permet quelques pacotilles, soit en argent, soit en marchandises.
Le voyage de ces vaisseaux, tant à l'aller, qu’au retour, est de dix-huit mois. En allant, ils ne touchent en aucun endroit : en revenant, ils vont toujours au Brésil, pour venir de conserve avec la flotte. Presque toujours les bâtiments qui ont été aux Indes, y restent ; et il en vient d’autres à la place.
Les cargaisons de ces vaisseaux pour l’envoi, montent ordinairement à deux ou trois millions ; mais plutôt moins que plus. Les marchandises consistent en corail ouvré, et non ouvré, en papier d’Italie, en écarlate de Hollande, en tabac de Portugal, en quelques autres marchandises, dont on a parlé ci-dessus ; et en argent.
L’argent, qui est presque tout en patagues, va, année commune, à douze cent mille livres ; et le corail, à cinq cent mille francs. Tout le tabac est pour le compte du Roy.
Les marchandises du retour sont, des diamants bruts, toutes sortes d’étoffes et de toiles de la Chine, et des Indes ; du salpêtre, de l’indigo, du musc, de l'ambre gris, et toutes ces autres choses précieuses, ou de pure curiosité, dont on parlera, en traitant du Commerce de l’Orient.
Ce Commerce est très sbon : on peut compter trente-cinq pour cent de bénéfice, en traitant par échange ; et trente à quarante sur l’argent seulement. Le droit de commission est de treize pour cent à Goa.
Le droit d'entrée, que l'on paye en Portugal, pour les diamants qui viennent des Indes, est réglé a sept pour cent ; mais on les évalué si bas, qu'il ne va qu'a trois ou quatre. On en use ainsi, pour éviter qu'on les fasse entrer en fraude ; le petit volume de cette précieuse marchandise, rendant la chose très s aisée.
Les Portugais font un assez bon négoce sur les Côtes d’Afrique. Outre les Noirs, dont ils ont besoin pour leurs Colonies du Brésil, ou qu’ils transportent dans celles des autres Nations, ils en tirent de la cire, de l’ivoire, et de la poudre d’or. Voyez, ci-dessus.
L’île de St. Thomé, sur les mêmes Côtes, fournit les mêmes marchandises ; et de plus, quantité de sucre, mais qui n’est pas fort beau. On y envoie de Portugal, quelques vaisseaux de deux ans en deux ans.
Il c'était formé à Lisbonne en l’année 1696, une Compagnie pour le Commerce de Guinée, et des Indes, sous le titre de Compagnie de Carcheo, qui traita avec le Roy d’Espagne, pour avoir la permission d’introduire, pendant cinq années, cinq mille Nègres par an, dans les Ports des Indes d’Espagne, sous diverses conditions, également avantageuses à Sa Majesté Catholique, et aux Intéressés dans cette Compagnie.
Les premières avances montèrent à plus de trois millions ; et Sa Majesté, pour donner plus de relief à cette entreprise, et afin de la soutenir, pour ainsi dire, en son nom, souhaita d’y prendre intérêt pour les deux tiers de son fond capital.
La concession ayant fini, à peu près dans le temps que commença la guerre de la Succession d’Espagne ; et le Roy de Portugal s'étant déclaré contre Philippes V appelé à cette succession par ses propres droits, et par le testament de Charles II. les Portugais ne furent pas en état d’en demander la continuation. Aussi la fourniture des Nègres passa-t-elle pendant la guerre aux Français ; et à la paix d’Utrecht aux Anglais.
Le Commerce de Portugal, aux îles de sa domination, comme la Tercere, Fayal, St. Michel, et Madère, n'est que d’une médiocre considération. On y porte des huiles, des bayettes, des serges, du ris, et du papier.
On tire de la Tercere, et de S. Michel, du blé, et de l'orge, pour le Portugal. Ces grains payent quatre pour cent de sortie, quand on les charge sous pavillon Portugais ; et quatorze pour cent, sous pavillon étranger. Ils ne payent point de droits d'entrée en Portugal.
Fayal et Madère fournissent des vins, qu’on porte en différents endroits, particulièrement au Brésil, aux Barbades ; et en temps de guerre, dans le Nord. Madère donne aussi des sucres, et des confitures sèches.
Il y a à Lisbonne, à Porto, à Faro, et dans quelques autres Villes de Portugal, des Marchands Français, Anglais, Italiens, Hollandais, et Hambourgeois. Le Commerce des Anglais y est le plus considérable. On parlera dans la suite un peu plus en détail du négoce de Porto, particulièrement par rapport à la France.
Le Commerce d’Italie avec le Portugal, se fait par des vaisseaux Génois, qui font ordinairement fort gros. Il y vient aussi de temps en temps quelques navires de Livourne.
Le négoce des Suédois est plus réglé ; et il vient tous les ans de Suède à Lisbonne, cinq ou six vaisseaux de trois ou quatre cens tonneaux, fort bien armés. Ils apportent des planches, du goudron, du cuivre, et du fer. On y voit aussi quelques vaisseaux Danois, chargés de mâtures, et de bois de charpente. Les uns et les autres font leurs retours en sels.
Le Commerce que les Portugais entretiennent avec l'Espagne, leur est très savantageux ; et il leur en revient quantité d'argent en espèces ; les Espagnols apportant en Portugal beaucoup moins de marchandises, qu’ils n’en tirent.
Les marchandises que les Espagnols apportent, sont des moires, des taffetas, de l’indigo, de la cochenille, et du mastic. Celles qu’ils tirent, sont, des sucres, et des tabacs.
 
Costumes des environs de Lisbonne (voir les pages des costumes anciens portugais)
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